De retour chez lui, la petite maison sentait encore plus le renfermé que la veille. Comme si l'odeur avait pris le temps de macérer pour mieux envahir tous l'espace disponible. Jilian resta un instant sur le pas de la porte, bien incapable de décider quoi faire. Il devrait peut-être simplement finir le ménage commencé. Tout simplement, peut-être que ce n'était qu'une odeur qu'il avait délogée et qui ne demandait rien d'autre que s'échapper, rien de plus. De toute façon, ce n'était pas comme s'il y avait un cadavre en train de pourrir sous le canapé, il serait au courant tout de même. Par mesure de précaution, il vérifia néanmoins quand même lorsqu'il changea la housse du canapé de côté. Peut-être qu'un chat du coin lui avait laissé une souris il y a déjà quelques temps et qu'elle pourrissait là joyeusement sans même qu'il s'en rende compte.
Non. Il n'y avait rien à signaler. Lorsqu'il s'assit sur le canapé, il réalisa qu'il n'avait pas pris la peine d'éteindre l'ordinateur. Pour une raison inconnue, celui-ci ne s'était pas donné la peine de se mettre en veille. Aussi, le fichier de sa traduction occupait encore l'écran. Le curseur noir clignotait, à intervalle régulier, attendant la suite des opérations. Sans jugement ni empressement, simplement il clignotait encore et toujours. La fin du monde pouvait commencer qu'il continuerait de clignoter comme si de rien n'était. Et peut-être que rien n'était...
La tête vers le plafond, Jilian essayait de retrouver les lignes floues qui d'habitude le rassuraient tant. Ces lignes de couleurs et de mots emmêlées qui semblaient vouloir partager avec lui tous les secrets du monde. Mais il avait beau cherché, aujourd'hui il n'y avait rien. Rien d'autre que le plafond d'un blanc ennuyant, seulement perturbé par endroit par quelques coulures de peinture. Il chercha vaguement une connexion entre elles, une forme, un dessin, un message, un signe... Rien ne voulait lui parler aujourd'hui. Le vide. Ce silence soudain le perturbait. Il n'était pas habitué à ça. Il était habitué à travailler beaucoup, à se remplir de tout ce qu'il lisait et traduisait, à oublier jusqu'à son propre corps, et une fois la journée finie il pouvait enfin déverser le trop plein sur les murs de la maison. Il avait travaillé beaucoup moins aujourd'hui, et pourtant il se sentait plus plein qu'à l'accoutumé. Un plein oppressant. Et pourtant, il ne restait rien à vider sur les murs. Les mots goudron s'étaient englués en lui et n'en bougeraient plus avant longtemps. Peut-être même qu'ils ne bougeraient jamais de là. Peut-être qu'il allait lui-même se changer en goudron. Il deviendrait une marée noire à lui seul. Et quiconque l'approcherait s'engluerait automatiquement. Peut-être qu'il faut rester tout seul alors. Quelque chose manque. Comme une incohérence de fond qui venait parfois s'écraser sur le plafond sans avoir l'honnêteté d'y laisser une marque claire.
La frustration maintenant... Comment est-ce qu'en l'espace de même pas une semaine tout avait pu se briser de la sorte ? Il avait l'impression de perdre pied. Le salon tout entier tournait sur lui-même maintenant. Il ne voyait pas comment le rattacher à la réalité. Passèrent en flash l'histoire de sa mère, les deux versions d'Origami, la conversation avec Terry Lucam, et son foutu livre. Le tout se brouillait en un magma gélatineux. Sa vie qui avait été jusque-là bien ordonnée, bien triée, allant de petite boîte en petite boîte, avait maintenant des allures de performance artistique à peine contrôlée. Peut-être qu'en se concentrant assez, qu'en fixant ses yeux de toutes ses forces, il finirait par voir apparaître au plafond un panneau sortie, une indication quelconque qui le sortirait de là... Il ne se rappelait pas avoir jamais eu autant envie de fuir que cette semaine. Tout était devenu terrifiant, hors de contrôle. Le monde avait repris ses droits, le monde allait le briser, le monde allait lui réduire les os en poudre et en faire des dessins abstraits qu'il vendrait aux touristes en leur vantant les qualités aphrodisiaques du truc.
Et puis la sonnerie du portable, encore une fois oublié sur la table basse. Un SMS.
Hey Jilian, désolée je réponds un peu tard... Pas de soucis pour te servir de phare si besoin ! Mais, ça va ? Que t'a dit le médecin du coup ?
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Littéralement l'océan
ParanormalJilian est un traducteur de fiction vivant en ermite. Un jour, l'auteur du dernier best-seller n'accepte de vendre les droits de son livre que si Jilian accepte de s'occuper de la traduction. Le lendemain de la rencontre entre les deux hommes, l'aut...