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La maison semblait n'avoir pas changé depuis son enfance. Elle lui paraissait toujours trop grande. Une seule chose avait changé. Il se souvenait qu'enfant, et même pendant ses études, il appréciait cet endroit. Il avait l'impression qu'il pouvait venir s'y abriter du monde entier, qu'il y aurait toujours un endroit où se soustraire au regard. Il pouvait rentrer, et se lover dans cette sensation qu'il était à l'abri du moindre mal, que rien ne pouvait lui arriver ici. Aujourd'hui, la maison de sa mère, la maison de son enfance, lui paraissait poisseuse. Tous les murs suintaient d'une odeur de moisissure insupportable.

"Quelque chose bouge

quelque chose va sortir

il faut suivre le courant

quelque chose bouge..."

L'odeur était intenable et il pouvait d'ores et déjà sentir son estomac se soulever. Il n'était pas question de commencer son séjour chez sa mère par une crise... Il pouvait sentir que s'il se laissait dériver sur ce chemin-là, la crise serait d'une envergure qu'il n'avait jamais atteinte jusque-là. Qu'Ilda soit là et sache comment faire pour le calmer n'aurait aucune importance. Qui plus est, il faudrait expliquer ce qui se passait à sa mère.

"Au moins comme ça tu es sûr qu'elle écoutera."

L'argument était intéressant, presque tentant. Sauf que même dans un cas de figure pareil, il était possible que sa mère ne réagisse pas. Toutes les pièces de sa mémoire s'étaient réarrangées, perturbées, à l'envers ces derniers jours. Il avait toujours considéré sa mère comme une personne à l'écoute et qui avait été présente pour lui de nombreuses fois. Il ne pensait pas avoir quoi que ce soit à lui reprocher. Et voilà maintenant que tout lui apparaissait sous un jour nouveau. Inutile de dire qu'il n'avait rien à gagner au change. Il se souvenait maintenant de la longueur des journées, de la sensation continuelle de vide, de manque, de son incapacité chronique à se mêler au reste du monde. Il se souvenait du besoin mordant de trouver les bons mots. Il avait passé des après-midis entiers à dévorer des livres les uns après les autres. Tous ceux qu'il avait pu trouver. Et quand il en eut terminé de la bibliothèque de sa mère, il s'attaqua à celle de sa ville, avant de finalement apprendre d'autres langues afin d'ouvrir encore plus de possibilités. Le monde était un océan qui n'attendait que lui pour le traverser. Et comme tous les explorateurs des mers, la solitude était inévitable. La solitude et la certitude qu'il finirait par se noyer. Peut-être que c'était là, ici et maintenant, qu'il allait enfin couler pour de bon, lui et la coque de bois qui avait bien voulu le soutenir jusque-là. Il aurait dû la baptiser, il aurait dû baptiser son navire et les mers qu'ils avaient traversées ensemble. L'horizon s'approchait dangereusement...

« Ilda ! Je suis ravie de vous rencontrer, venez, je vous emmène pour un tour de la maison ! »

Le tour en question fût vite fait. La maison était loin d'être un château. Mais Miranda semblait posséder une anecdote pour chacune des pièces qu'ils traversaient. Jilian avait beau savoir qu'il était au cœur de toutes les histoires que sa mère racontait, il n'en reconnaissait aucune. Peut-être parce qu'il était déjà trop loin. Peut-être parce qu'il ne s'en souvenait pas. Ou plus comme elle le présentait. C'était comme si elle voulait lui montrer ses constellations préférées alors qu'on était en plein jour...

« Je ne sais pas pourquoi j'ai encore cette télé... À l'époque on regardait le sport ensemble, mais ça n'a finalement duré qu'un été, le temps des jeux olympiques. Après, je n'avais pas tant de temps que ça pour la regarder, et Jilian s'en était lassé. Il voulait dessiner à l'époque ! Il était même plutôt doué. Mais il a arrêté d'un seul coup. Tu ne m'as jamais dit pourquoi d'ailleurs.

Littéralement l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant