Il fut de retour chez lui vers 20h18. Il avait traîné un peu sur le retour. Flânant tranquillement, le temps que ses pensées arrêtent de tourner dans tous les sens possibles. Ilda l'avait envoyé voir le médecin pour trouver de l'aide et s'assurer que tout allait bien, il en revenait la tête à l'envers et perturbé au possible.
Le trou chronologique dans la narration donnée par sa mère l'embêtait. Ça n'avait pas beaucoup de sens. Certes, son père était un sujet de conversation qu'on abordait peu chez les Break, il l'avait compris assez rapidement. Ce n'était pas faute d'avoir tenté. Mais à chaque fois qu'il abordait le sujet, elle ne répondait jamais vraiment directement. En général, elle déviait la conversation et y revenait plus tard. Comme si elle cherchait elle-même une façon de répondre qui ne lui soit pas trop nuisible.
Il s'en souvenait encore. C'était la seule fois où sa mère avait levé la main sur lui. Il allait avoir 8 ans. Il avait passé tout le mois de juin à préparer sa première fête d'anniversaire qui devait avoir lieu le 30, soit deux jours plus tard. Il avait été ravi de préparer les invitations lui-même, invitations qu'il était allé distribuer à vélo chez les quelques amis avec qui il souhaitait partager cet événement. Estimant qu'on avait qu'une fois 8 ans dans une vie, il jugeait qu'il était important que son père participe. Il avait déjà tenté à l'occasion d'en apprendre plus sur les raisons de son absence. Sa mère avait fait l'anguille à chaque fois. « On n'est pas heureux toi et moi ? » « Tu sais il ne peut pas être là. » « Je suis sûre qu'il pense très fort à toi. » « Dès qu'il pourra sans doute. » Bien entendu, aucune de ces réponses évasives n'était parvenu à tarir son envie de savoir. Il allait avoir 8 ans, il se devait d'être courageux, et il devait donc insister auprès de sa mère qui ne semblait pas comprendre l'ampleur de la chose. Ainsi, tous les jours il inventa mille et une histoires qu'il lui soumettait dans l'espoir de la voir acquiescer à l'une ou l'autre de ces versions fantaisistes.
Peut-être que lui aussi il travaille très dur. Comme toi. Mais peut-être que comme toi, il a des jours de repos et des vacances ? On peut peut-être déplacer la fête à ce moment-là ?
Peut-être qu'il a oublié quand c'est ma date d'anniversaire, ou juste qu'il s'en veut d'avoir raté tous les autres ? Si je lui dis que ce n'est pas grave, ça devrait aller non ?
Il habite loin peut-être ? Loin où on ne peut pas téléphoner ? Où les lettres ne peuvent pas arriver ? S'il habite sur une île, c'est sûrement plus compliqué.
Si ça se trouve c'est un agent secret et il n'a pas le droit de nous parler. Il est trop occupé à sauver le monde.
Peut-être qu'il est très triste parce que tu lui manques. Peut-être que si c'est toi qui l'invites ça marchera mieux !
Tous les jours une nouvelle histoire. Tous les jours sa mère avait répondu par un silence las, un sourire fatigué. Ce n'est pas comme ça que ça marche Jilian. Mais ne t'inquiète pas, ce sera une très belle fête. Il acquiesçait, acceptant de changer de sujet. Il faisait semblant de ne pas voir les larmes dans les yeux de sa mère. Il sentait, sans pouvoir l'expliquer, qu'il y avait quelque chose de grave, de très grave. Simplement, elle ne l'expliquait pas. L'enfant de bientôt 8 ans se trouvait alors tenaillé entre son envie de savoir et la douleur qu'il infligeait à sa mère. Si bien qu'après chaque scénario, après chaque déviation imposée, il faisait en sorte d'aider le plus possible. Il compensait. Rendait service. Aidait au ménage ou à la cuisine. Apprenait à se débrouiller de plus en plus seul pour soulager sa mère. Il espérait ainsi effacer les larmes et lui rendre le sourire.
Ça n'avait pas suffi. Peut-être qu'elle était plus fatiguée ce jour-là, peut-être que c'en était trop. Toujours est-il qu'il avait fini par arriver au bout de la patience de Miranda. La gifle était partie sans prévenir. Jilian avait encore moins de raison de l'attendre que ce n'était pas dans les habitudes de sa mère, ça allait même totalement à l'encontre de ses principes. Ce matin-là, c'était l'implosion. Il n'avait même pas eu le temps de finir sa phrase que sa joue le cuisait terriblement. Elle l'avait saisi par les bras et s'était mise à son niveau.
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Littéralement l'océan
ParanormalJilian est un traducteur de fiction vivant en ermite. Un jour, l'auteur du dernier best-seller n'accepte de vendre les droits de son livre que si Jilian accepte de s'occuper de la traduction. Le lendemain de la rencontre entre les deux hommes, l'aut...