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Il fut interrompu vers 17h19 par un SMS du laboratoire qui lui signifiait que ses résultats étaient disponibles. Il hésita quelques instants. Encore une fois, ce n'était pas la façon de faire normale. Mais un bol d'air lui ferait le plus grand bien. Il sentait qu'il ne pouvait pas suivre ses habitudes, à savoir traverser de longues périodes d'apnée à nager au milieu d'un texte. Il n'y avait pas d'air dans ce roman. S'il voulait se protéger un minimum, il allait falloir qu'il en cherche ailleurs. Ilda n'avait quant à elle toujours pas répondu.

Il partit donc à pied pour le laboratoire. Cette fois, la salle d'attente était quasiment vide. Sans doute que la majeure partie des gens venaient tôt le matin, dans la mesure où une bonne partie des examens exigeaient que le patient soit à jeun. Il ne pût s'empêcher de chercher Origami des yeux... Après tout, il était fort probable que ses résultats à elle aussi soient prêts. Il se rendit même compte qu'il espérait la trouver là. Mais peut-être que cette fois aussi, il faisait les choses dans « le mauvais sens », qu'il avait encore une fois pris le « parcours à l'envers ». Même s'il n'était pas bien sûr de ce qu'elle entendait par là, il avait l'impression que ce n'était pas une bonne chose. Alors qu'au final, c'était juste une fille avec un ego tellement développé que toute personne qui passait avant elle plutôt que de simplement la suivre faisait les choses dans le mauvais ordre. Enfin c'était quand même une fille qui n'était pas vraiment la même fille d'une fois sur l'autre. Laquelle était la bonne version d'Origami ? Peut-être qu'il était simplement fatigué, qu'il s'était embrouillé tout seul.

Il n'eût pas vraiment le temps de réfléchir à ses questions, il y avait tellement moins de monde que le matin que ce fût rapidement son tour.

« Bonjour, je viens récupérer des résultats, c'est au nom de...

_Monsieur Jilian Break c'est bien ça ?

_Oui... Je ne pensais pas que vous vous en souviendriez... Il y avait tellement de monde ce matin...

_Comme tous les matins ! Mais il y a des gens qui vous marquent l'esprit. Et il faut bien dire qu'un homme de 28 ans avec les cheveux complètement blancs, ça a de quoi vous marquer, au moins pour la journée ! Je vais voir chercher ça tout de suite. »

Il avait complètement oublié cette histoire de cheveux blancs. Il s'était dit qu'il vérifierait en rentrant de chez le médecin, mais la conversation avec sa mère l'en avait complètement détourné. Il s'était senti tellement submergé qu'il avait voulu se noyer dans le travail, pour se rendre compte une fois le roman de Lucam ouvert que ce ne serait pas une simple métaphore. Après quoi il avait tout éteint pour aller dormir du sommeil du mort. Les choses s'étaient déroulées presque de la même façon ce matin... Il avait suivi les lignes machinalement, heureux de les retrouver, même si ces retrouvailles s'annonçaient brèves. Il était parti pour le labo. Il en était revenu légèrement perturbé par les changements observés chez Origami. Il s'était plongé dans le travail dès son retour. En vérité, il avait été tellement obnubilé par ce livre qu'il avait complètement oublié de retirer le coton appliqué sur son bras suite à la prise de sang. Il était en train de se battre silencieusement avec le sparadrap quand la préposée revint avec son enveloppe.

« Vous ne l'avez toujours pas retiré ?

_Non... J'ai complètement oublié on dirait bien...

_Vous voulez un coup de main ? Vous avez l'air de ne pas vous en tirer...

_Désolé... J'ai travaillé toute la journée, je dois avouer que je suis un peu dans les vapes.

_Pas de soucis, ce n'est pas grand-chose de toute façon. Enfin faîtes attention quand même, vous êtes drôlement pâle... Vous devriez prendre quelque chose à manger à la boulangerie d'en face, c'est une des meilleures de la ville !

_Oui, merci, c'est très gentil... »

Il récupéra son enveloppe et sortit de la file. Il ne pût s'empêcher de s'arrêter dans le coin de la salle d'attente, là où une petite table présentait sa cargaison de magazines insipides à quiconque voulait bien se perdre en ces lieux. Il cherchait les œuvres d'Origami. Il avait espéré qu'en passant le jour-même, il aurait l'occasion d'en voir quelques-uns au naturel. Mais rien. Les magazines étaient tous d'une triste platitude, aussi bien dans le fond que dans la forme. Peut-être qu'il se trompait, quelqu'un avait dû vouloir les lire et avait donc défait les œuvres d'origami au profit d'articles sur les régimes des célébrités et autres erreurs à ne pas commettre à son mariage. À nouveau, il était déçu.

Par dépit, il se rendit à nouveau dans la boulangerie d'en face. Cette fois-ci, puisque la journée était passée depuis ses croissants sans qu'il n'avale rien d'autre, il pensait s'offrir une ou deux parts de tarte. Son tour approchait quand il entendit une voix l'appelant depuis l'extérieur.

« Break ! Tu fais encore le chemin à l'envers ! »

Origami se tenait sur le trottoir d'en face, juste devant la porte de sortie du laboratoire. Probablement qu'elle venait aussi de récupérer ses résultats. À nouveau, Jilian l'avait précédé de peu. Alors même qu'il allait sortir précipitamment pour lui parler...

« Rebonjour Monsieur ! Comment allez-vous depuis ce matin ? Les croissants étaient à votre goût ?

_Euh oui... très bon merci...

_Qu'est-ce que je peux faire pour vous ce soir ?

_J'aurais voulu une part de tarte au caramel et une autre aux fruits rouges.

_Très bon choix ! Je vois qu'on est gourmand.

_Excusez-moi, mais vous m'avez reconnu ?

_Évidemment ! Ça vous surprend ?

_L'endroit a plutôt l'air très fréquenté alors...

_Ha, il y a toujours des gens pour sortir du lot ! Un jeune homme comme vous avec les cheveux aussi blancs que ceux du Père-Noël, on ne voit pas ça tous les jours. Mais ça vous va très bien je trouve. Ça vous donne un certain charme. Comme un grand sage dans sa montagne. Quelque chose du genre ! »

Il allait vraiment falloir qu'il prenne le temps de vérifier cette histoire... Mais pour le moment, il voulait pouvoir parler avec Origami. Il régla ses achats et se précipita dehors à sa recherche. La jeune femme n'avait pas eu la politesse de l'attendre. Aucune trace d'elle dans la rue. Impossible de savoir par où elle avait pu partir. Il ragea après lui,après elle. Pourquoi prendre la peine de l'appeler si elle n'avait même pas daigné l'attendre quelques minutes ? Jusqu'à présent, ils avaient toujours été interrompus. Ils étaient tous les deux pris dans une file d'attente ou une autre, et le passage de l'un entraînait nécessairement la fin de leur conversation. Mais là, rien n'obligeait cette fin. Elle n'avait qu'à patienter un instant, à peine deux minutes... À croire qu'ils pouvaient attendre ensemble,mais qu'ils ne pouvaient pas s'attendre l'un l'autre...

Littéralement l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant