22 - fuite

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« Ça donne quoi ?

_Vraiment ?

_Oui, vraiment.

_Tu veux vraiment savoir ?

_Oui !

_Ça veut dire que tu es prêt à admettre que tu as perdu ?

_Je n'ai rien perdu.

_Tu ne me demanderais pas où j'en suis si tu ne pensais pas être en retard.

_Qu'est-ce que tu en sais ?

_Je sais.

_Trop facile.

_Tu préférerais te vanter. Tu expliquerais direct, sans te poser la question. Tu voudrais m'écraser, comme tu faisais avant. Parce qu'écraser le garçon que tu avais ça ne suffisait pas.

_Arrête maintenant. Réponds !

_Ça ne suffit pas n'est-ce pas ?

_Ça n'a rien à voir !

_Dis-moi que ça ne suffit pas ! Crache-le maintenant. Il est temps. Un peu d'honnêteté, un peu de fairplay, ça ne te ferait pas de mal !

_Je n'ai rien à avouer. Si. Et ça ne ferait pas de mal pour changer. Crache-le. Ça n'a pas suffi n'est-ce pas ? »

Ilda avait aidé Jilian à se relever, puis l'avait guidé jusqu'à la voiture où elle l'avait délicatement déposé et bouclé. Le corps du traducteur était en sueur, comme pris d'une forte fièvre. Elle hésitait sur la conduite à tenir. Valait-il mieux emmener Jilian le plus loin possible et le plus vite possible ? Ou ne fallait-il pas plutôt commencer par lui offrir une bonne douche suivie d'une bonne nuit de sommeil ? Vu son état, ses bégaiements et ses tremblements, difficile de trancher. La maison, ou plutôt quelque chose dans la maison, semblait le terrifier. Il voulait partir mais n'en était pas capable tout seul. C'était à elle d'assurer cette partie, à elle de trancher.

Elle boucla la ceinture de son ami, attrapa un sac de voyage dans le coffre et retourna dans la maison pour récupérer quelques affaires. Encore plus violemment que précédemment, la maison était décidée à faire tout ce qui était en son pouvoir pour la chasser. Dans un film d'horreur de série B, nul doute que des chauves-souris l'auraient violemment agressé à la moindre porte ouverte, peut-être même des chats miaulant à la mort dès qu'on les frôlait. A moins que la maison ne préfère la jouer film d'action, auquel cas le sol s'ouvrirait sous ses pieds pour la précipiter dans des volcans en éruption. Ou alors elle apprendrait bientôt qu'une vieille malédiction régnait en ces lieux, chose qu'elle apprendrait bien sûr en en faisant les frais.

Mais rien ne se produisit. Tout était encore plus lourd qu'il y a quelques instants. Flottait maintenant dans l'air des relents de colère. La maison la considérait coupable de quelque chose. Un crime inavouable, inexplicable. Ilda s'en moquait. Elle aurait bien répondu à l'hostilité de la maison par un pied de nez, voire même un doigt d'honneur. Elle eût trop peur de dépasser une limite dont on ne l'aurait pas prévenu. Elle se contenta donc de faire le tour des pièces.

Dans la salle de bain, elle récupéra brosse à dents, brosse à cheveux, dentifrice, savon et shampoing. Elle aurait pu lui prêter plusieurs de ses items mais comme elle l'arrachait déjà plus ou moins violemment à son cocon, elle ne voulait pas en rajouter. Ce n'était que de petits éléments, mais ils auraient toujours le mérite de lui apporter quelques repères. Dans la chambre, elle attrapa une dizaine de t-shirts au hasard, ainsi que quatre jeans. Elle attrapa des sous-vêtements à pleine main sans prendre la peine de s'assurer de ce qu'elle récupérait, elle aussi voulait partir d'ici au plus vite. En repassant dans la grande pièce à vivre, elle vit l'ordinateur sur la table basse. Après avoir hésité un instant, elle décida de l'emmener aussi. Même si Jilian ne travaillait pas dès son arrivée chez elle, il apprécierait peut-être d'avoir son fidèle compagnon, pour jouer ou regarder des films... Elle trouva la housse sous le canapé, la poussière accumulée dessus indiquait très clairement que l'ordinateur en question, tout portable qu'il était, ne sortait que très rarement de la maison.

Enfin, elle pût sortir de là, ferma la porte avec la clé qu'elle avait trouvée dans la cuisine et chargea précautionneusement sac de voyage et ordinateur dans le coffre de la voiture. Vaseux, Jilian comatait contre sa vitre, les yeux tendus vers quelque chose que lui seul pouvait voir. Ils allaient pouvoir lever le camp.

Bien évidemment, aucun des deux n'avait vu l'ombre criblée d'aiguilles qui avait profité de l'inattention précipitée d'Ilda pour s'accrocher à l'ordinateur.

Littéralement l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant