12 - bleaching

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Jilian obtempéra et prit un rendez-vous chez le médecin pour l'après-midi même. Ce ne fut pas chose aisée car, comme dans toute grande ville qui se respecte, aucun ne semblait vouloir prendre de nouveaux patients. Or, il y avait tellement longtemps qu'il n'avait pas été en voir un, que le dernier qu'il avait pu considérer comme son référant en la matière avait pris sa retraite il y a déjà trois ans. Il réussit néanmoins à obtenir une place chez un remplaçant qui semblait ne pas rencontrer trop de succès auprès de la clientèle habituelle du cabinet.

Le rendez-vous était en fin de journée, et comme tout bon médecin qui se respecte, celui-ci eût près d'une heure de retard. Jilian soupira, mais après tout, on lui avait donné ordre de se reposer. Coincé dans une salle d'attente avec pour seule distraction des magazines vieux de plusieurs tours du soleil, il était bien obligé de se débrancher quelque peu de sa routine. À vrai dire, il ne savait pas très bien comment s'y prendre. Il avait passé l'après-midi à tourner en rond comme un chien en cage, il n'avait pas eu le temps de s'assoir plus de quelques secondes qu'il se relevait déjà pour prendre le large. De même pour le ménage. Sans être particulièrement bordélique, il n'était pas pour autant une fée du logis. Il commençait à balayer un coin de la maison, pour finalement retourner plier des draps qu'il abandonnait plus ou moins en boule dans l'étagère, la machine à laver avait terminé son cycle depuis au moins deux heures qu'il n'avait étendu que la moitié du linge, et le produit à dégraisser dont il avait aspergé généreusement les plaques de cuisson avait eu non seulement le temps d'agir, mais aussi de sécher, venant ainsi s'ajouter à la liste des choses à décoller des dîtes plaques. Bref, Jilian avait picoré dans la liste des différentes activités possibles en dehors de son travail sans jamais réussir à se consacrer pleinement à l'une d'entre elles en particulier.

Mais là, bloqué dans la salle d'attente du médecin, il était bien obligé de rester tranquille. Il avait passé la première demi-heure à effeuiller tous les magazines proposés. Il y en avait pour tous les goûts ou presque. De la revue de pseudo actualité politique, à l'aménagement des intérieurs et des jardins, en passant par les recueils de publicité géants au milieu desquels se glissaient parfois un article sur la nécessité d'avoir une sexualité épanouie, avec bien entendu un mode d'emploi précis et détaillé permettant d'atteindre le dit épanouissement en mettant en place une sexualité bien définie. À en croire la multitude des pages glacées, le bonheur était finalement une chose assez simple à atteindre, surtout maintenant qu'on avait autant d'experts et de spécialistes capables de fournir des méthodes de bonheur en dix points, accessibles à tous, et dont l'efficacité n'était plus à prouver. C'était à se demander pourquoi il y avait encore tellement de gens malheureux. Peut-être parce qu'il y avait toujours, et qu'il y aurait toujours, des recueils de pages glacées pour leur expliquer qu'ils ne l'étaient pas, et ne le seraient peut-être jamais, à moins de suivre les méthodes en dix points simple comme bonjour, tellement simple que si on ne parvenait pas à les appliquer correctement, c'était sans doute parce qu'on ne voulait pas s'en donner vraiment la peine. Il faudrait qu'il en parle à Ilda. Il l'aurait bien fait dans la seconde, mais il avait laissé son portable chez lui. De toute façon, il était presque sûr qu'elle lui aurait rappelé qu'il devait se reposer, et non réfléchir au pourquoi de l'existence.

Au bout d'une demi-heure, il finit par se lasser de cette littérature de salle d'attente. Il ne voyait d'ailleurs pas très bien dans quelles autres circonstances on pouvait vouloir lire tout ceci de son plein gré. Il se retrouva donc sans rien à faire, et sans savoir pour combien de temps encore il avait à attendre. Autant dire un gouffre d'inactivité auquel il n'était pas habitué. Il ne faisait pas partie de ces gens qui savaient gérer l'ennui. Il semblait d'ailleurs que ce n'était pas le cas non plus de sa voisine.

La jeune femme assise en face de lui avait un bras dans le plâtre, la vingtaine probablement et une tendance à faire du bruit assez marquée. Il fallait toutefois lui reconnaître une volonté de varier les bruitages assez incroyable. Tantôt elle mâchouillait un chewing-gum dans une rumination concentrée typique des plus grands bovins, tantôt elle tambourinait sur sa chaise comme un batteur en mal d'instrument, tantôt elle soupirait ronchonnait froissait les feuilles des magazines dans un concert de chuintements ininterrompus. Le plus surprenant était sans doute que les quelques autres personnes coincées ici avec eux ne réagissaient pas plus que par un froncement de sourcils ou un petit soupir agacé. Sans doute étaient-ils désireux de ne pas ajouter à la cacophonie de la jeune femme leur propre brouhaha. Il fallait bien que certains respectent les convenances. Jilian observait donc le manège de la jeune femme, occupée à cet instant à tordre certaines pages des magazines en origamis rudimentaires, qu'il trouvait plutôt réussis pour des êtres condamnés à rester agrippés à leurs agrafes centrales. Elle croisa son regard à ce moment-là.

Littéralement l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant