Plusieurs jours s'écoulèrent sur Terre, après les événements s'étant déroulés dans le quartier de Vladeck Houses. Ben avait été ramené à l'hôpital Presbytérien après que les inspecteurs Silvermann et Stones l'aient retrouvé agonisant, et il avait fallu plusieurs heures de chirurgie pour le sortir d'affaire. Il avait gardé le silence sur les événements s'étant déroulés dans ce bloc d'immeubles à l'abandon, ayant prétendu être arrivé là par hasard et ne pas se souvenir de la façon dont il avait reçu sa blessure au torse. Après tout, même s'il avait dit la vérité, qui l'aurait cru ?
Certainement pas l'inspecteur Silvermann, qui l'avait dévisagé tout le long de leur entretien. Il n'avait rien dit de particulier et était resté cantonné au déroulé de ses questions, mais Ben avait bien senti que l'enquêteur avait des doutes sur ses propos. Et quand il lui avait dit qu'il reviendrait le voir quand il irait mieux pour parler de l'incident du 10 août, il l'avait plus perçu comme une menace que comme un échange de mondanités. Mais peu importait : Maners avait des choses bien plus importantes à penser.
En effet, même s'ils n'avaient plus fait parler d'eux depuis, il craignait que ces soi-disant anges ne refassent irruption dans sa vie, sans crier gare. Il ne se souvenait pas de ce qui s'était passé exactement après l'ultime attaque de Raphaël, mais il lui avait semblé l'entendre se disputer avec son chef, et il ne serait pas surpris s'il enfreignait les ordres pour venir terminer ce qu'il avait commencé. Et quand bien même il se tiendrait à carreau, il n'en demeurait pas moins qu'il avait tué cet Azraël, et il lui apparaissait peu probable que ce crime reste sans conséquences.
Cette inquiétude lui dévorait les tripes, au point que le moindre battement d'ailes à l'extérieur le faisait immanquablement sursauter. A côté de ça, il y avait une autre perspective qui le perturbait beaucoup : sa sortie prochaine de l'hôpital. Il ne se sentait pas encore prêt à retourner chez lui, dans cette maison laissée vide depuis le drame qui lui avait arraché sa femme. Il redoutait que remontent à la surface toute la douleur et le chagrin qui avaient été muselés par l'adrénaline et la peur. Et à chaque fois que le docteur lui rendait visite, il espérait qu'il lui annoncerait des examens supplémentaires, obligeant à retarder son départ. Mais ce lundi 31 août, ce fut l'inverse qui se produisit.
Ben regardait, sans grand intérêt, un match de baseball à la télévision quand le docteur Edwards pénétra dans sa chambre. Leur relation ne s'était pas réchauffée depuis qu'il lui avait révélé la vérité sur sa femme. Le praticien n'osait pas aborder le sujet, car il se sentait responsable de l'accident survenu lors de sa fuite. Peut-être que s'il avait été honnête dès le départ, Maners n'aurait pas quitté l'hôpital et il n'aurait pas à nouveau frôlé la mort, pensait-il. Quant à son patient, il savait qu'il avait eu tort de réagir de la sorte, que le médecin n'avait que son bien-être à l'esprit et qu'il n'avait pas pensé à mal. Mais son orgueil l'empêchait de lui formuler des excuses en bonne et due forme. Leurs échanges se résumaient donc au strict minimum.
« - Bonjour, Monsieur Maners. Comment allons-nous, aujourd'hui ?
- Ma foi, comme un lundi je dirais, plaisanta-t-il.
- Bien. J'ai reçu vos derniers résultats, et ils sont très encourageants !
- Mais encore ?
- Voyez par vous-même, répondit Edwards en faisant apparaître une projection en trois dimensions du corps de son patient, grâce à un petit dispositif sur le revers du col de sa blouse. Les contusions résultantes de votre accident sur le pont se sont complètement résorbées, et les blessures de votre agression sont en pleine cicatrisation. Je pense que nous pourrons retirer les derniers fils cet après-midi, pour que vous puissiez rentrer chez vous demain matin.
- Si vite ? manqua-t-il de s'étouffer.
- Eh bien... Physiologiquement, vous êtes parfaitement apte à quitter notre service, expliqua le docteur, surpris par la réaction de Ben. Mais je vous rassure, nous poursuivrons un suivi régulier de votre état, pour éviter toute rechute.
- Oui, oui. J'entends bien. Mais tout de même, ce n'est pas une petite blessure que j'ai eue. Et vous me dites que tout va bien ?
- Je n'irais pas jusqu'à dire que tout va bien, mais votre vie n'est plus en danger, oui. La seule chose qui nécessite une observation sur le long terme, c'est cette petite masse noire située dans la scissure entre vos lobes frontaux et pariétaux, poursuivit le médecin en agrandissant l'image virtuelle, faisant apparaître l'image d'un cerveau. Vu son emplacement, nous n'avons pas pris le risque d'intervenir dessus. Il nous est donc impossible de déterminer s'il s'agit d'une calcification, d'une poche de sang coagulé ou bien d'un éventuel débris qui se serait fiché là. Mais sa présence ne semble pas affecter vos fonctions motrices ou vitales, donc nous préférons attendre et observer pour le moment.
- Ce n'est pas très rassurant, votre truc...
- Je vous assure, Monsieur Maners, que nous ne prendrions pas le risque de vous laisser sortir si nous n'étions pas sûrs à 100% que vous êtes apte. Mais si vous préférez attendre un ou deux jours de plus, je peux me renseigner...
- Non, non, c'est bon. Je vous fais confiance, l'arrêta Ben. Donc maintenant, qu'est-ce que je dois faire ?
- Nous nous chargeons de toutes les démarches pour votre sortie, ne vous inquiétez pas. La seule chose que vous avez à faire, c'est prendre contact avec vos proches pour que quelqu'un vienne vous chercher. Nous ne laissons pas les patients quitter l'établissement sans un accompagnant. J'espère que ça ne posera pas de problème, vu les circonstances...
- Pas de problème. Je sais qui appeler, ne vous inquiétez pas.
- Très bien. Dans ce cas, l'infirmière viendra vous voir tout à l'heure pour retirer les fils. On se revoit demain pour la visite de sortie. »
Les deux hommes se serrèrent la main, puis le docteur Edwards repartit poursuivre sa tournée des malades. Ce qu'il ignorait, c'était que Ben avait menti. Il n'avait personne à contacter pour venir le récupérer. Son frère était en mission, quelque part dans le Wyoming, et il ne rentrerait pas avant au moins deux jours. Son oncle et sa tante n'étaient plus tout jeunes et habitaient trop loin pour qu'il ose les contacter. Et il n'avait pas d'amis à proprement parler en ville. La seule option qui lui restait, c'était d'appeler quelqu'un d'Edmons & Co. Avec ses soucis actuels, le travail n'était clairement pas sa priorité, mais cette option avait au moins le mérite de repousser encore de quelques heures le moment fatidique où il devrait finalement retourner chez lui.
Il utilisa donc le téléphone de sa chambre pour prendre contact avec Jim Frazier, son assistant à la direction juridique. C'était un gentil garçon, fraîchement diplômé de l'université du Tennessee, située à Chattanooga. C'était d'ailleurs à l'occasion d'un stage de fin d'étude dans les bureaux d'Atlanta d'Edmons & Co que Ben l'avait rencontré. Il s'était rapidement attaché à ce jeune homme très poli, mais avec un accent à couper au couteau, et c'est pourquoi il lui avait proposé de l'accompagner lors de sa mutation à New² York. Ayant passé toute sa jeunesse dans la région de Nashville, la décision fut difficile à prendre, mais au final, Jim y avait vu une opportunité de carrière à ne pas manquer.
Bien entendu, le jeune assistant fut ravi d'avoir des nouvelles de son chef, et rendez-vous fut donc pris pour le lendemain. La bonne humeur du jeune homme lui avait mis du baume au cœur, mais à peine eût-il raccroché que de nouveau l'appréhension le saisit. Comment se passerait son retour dans le monde ? Parviendrait-il à faire abstraction de tout ce qu'il avait vécu ces dernières semaines ? Pourrait-il seulement reprendre une vie normale ? Toutes ces questions l'assaillaient, et il passa sa dernière journée à l'hôpital pensif, les yeux dans le vague et la boule au ventre, dans l'expectative du lendemain...
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DIES IRAE - Cycle I : L'Angicide
ParanormalSuite à un accident, Ben Maners sort du coma avec le pouvoir non seulement de voir le monde des Esprits, mais également d'interagir avec ses habitants. Ce don atypique attire rapidement l'attention du Ciel et de l'Enfer, et Ben va devoir découvrir d...