DIES IRAE - Cycle I : L'Angicide

Acte IV, 8e Épître - Le Dominion Leliël

Alors qu'il se faisait rouer de coups par un Ben Maners hors de contrôle, Leliël était incapable de réagir. Il cherchait désespérément à comprendre comment tout avait pu dégénérer aussi vite, mais la réponse lui échappait. Bien sûr, il savait depuis le début que toute cette opération était bancale. Mais Gabriel avait été intransigeante, et qui était-il pour la remettre en question ? Et quand tout était parti à vau-l'eau,  comme il se devait, il avait persisté, poursuivant encore et toujours son objectif : combler les attentes qu'on avait placé en lui, pour prouver à tous qu'ils se trompaient sur son compte. Prouver qu'il valait mieux que ce qu'on croyait. Et peut-être que tout découlait de là, précisément ? Peut-être n'était-il effectivement qu'un moins que rien, qui méritait ce qui lui arrivait ? Un retour de bâton à l'échelle cosmique pour avoir cherché à s'élever plus haut qu'il ne le devait ? Tel Icare, était-il condamné à se brûler les ailes au contact du soleil séraphique ?

Le regard haineux de Maners, qui cognait avec acharnement son visage, semblait lui crier que tout était de sa faute. Quant à Zeruël, qui se gardait bien d'intervenir malgré le pugilat qui se déroulait sous ses yeux, son visage fermé trahissait sa désapprobation des actes de son congénère. Ce mépris à son encontre lui rappelait les heures les plus sombres de ses classes, quand son physique chétif et sa peau laiteuse en faisait la cible des railleries et des brimades de ses pairs.

Il était tout particulièrement un souffre-douleur privilégié pour ceux qui, à première vue, avait été nantis des meilleurs attributs qu'un soldat de Dieu pouvait rêver : imposants, massifs, musculeux à l'écœurement. Le fait que la plupart de ses bourreaux aient fini par rejoindre les chiens de guerre d'Haniël, ce qui les plaçaient hiérarchiquement à un grade inférieur au sien, n'avait que partiellement gommé son amertume. Mais les murmures moqueurs de ces brutes, à chaque fois qu'il croisait leur chemin dans les couloirs du Palais, semblaient lui rappeler constamment où était réellement sa place.

            Sur le point de se résigner à son triste sort, il fut sorti de sa torpeur par le grésillement du communicateur que lui avait donné sa supérieure. La connexion était mauvaise, mais il reconnut clairement la voix de la Séraphine, qui répétait son nom en lui ordonnant de répondre, avec ce ton impérieux qui lui était propre. Malgré la situation où il se trouvait, il ne put s'empêcher de sourire. Combien de fois l'avait-elle convoqué ainsi, avec cette intonation mêlant impatience et autoritarisme ? D'ailleurs, d'aucun dirait que la raison l'ayant amené à postuler au poste d'aide-de-camp de la chef du Corps des êtres intermédiaires n'était qu'autre qu'un souhait inconscient de remplacer ses anciens tortionnaires par un tourmenteur d'un autre genre.

Mais cette assertion ne pouvait être plus éloignée de la réalité. Car derrière l'inquiétude maladive qui transparaissait de son attitude, Leliël dissimulait une ambition démesurée, qui n'avait fait que croître aux fils des éons. Car l'Ange de la Nuit avait une certitude : en toute chose, le Très Haut Père avait placé un destin bien particulier, et si les brutes étaient condamnées aux tourments des Enfers ou à la boue des champs de bataille, alors il ne pouvait qu'être destiné à de grandes choses, lui qui était unique parmi ses pairs. Et s'il avait été ébranlé par son affectation parmi les anges du sixième rang, lui qui s'attendait à rejoindre les troupes du Corps des êtres supérieurs, il avait toujours gardé foi en cette conviction. Il avait donc attendu, patiemment, guettant un signe, une occasion de faire ses preuves.

Quand il avait appris que Gabriel cherchait un nouvel aide-de-camp, il avait immédiatement postulé, y voyant sa chance de briller. Mais une fois face à la Séraphine, son assurance l'avait abandonné, comme trop souvent, et il n'avait pu que constater impuissant le désintérêt de moins en moins feint de sa supérieure à son encontre.