Au même moment, au Palais Céleste, un calme relatif était revenu dans les alcôves. Le bruissement des murmures inquiets avait fait place à un silence pesant, et les couloirs d'habitude animés demeuraient désespérément vides. Les cadets avaient rejoint leurs chambres, leurs entraînements ayant été annulés suite aux événements survenus dans le monde physique, mais aucun d'eux n'avait le cœur à se réjouir de ce temps libre impromptu. Il faut dire que les informations qu'on leur avait données restaient parcellaires, et le doute sur la nature exacte de ce qui se tramait ne faisait que croître. Mais cette atmosphère oppressante fut petit à petit percée par une mélodie lointaine, qui gagnait peu à peu en puissance à mesure que son interprète avançait dans la partition.
Résonnant dans les promenades abandonnées, cet air à peine audible réchauffait l'âme des créatures célestes, car au-delà de la musique elle-même, c'était sa signification qui importait. Celle d'un phare dans les ténèbres, un havre de paix en ces temps troublés. Alors qu'ils se débattaient dans l'incertitude, cette personne gardait son assurance et suffisamment de calme et de concentration pour se lancer dans une telle interprétation de haute volée. Il aurait été un mortel, on aurait sans doute parlé de lui comme d'un virtuose, mais pour le Séraphin Raphaël, ce n'était qu'un passe-temps comme un autre, qui ne méritait pas plus d'éloges qu'une autre activité récréative.
Depuis ses appartements, situés à l'extrémité Ouest du Palais, l'ange pourpre emplissait la cité du son de son orgue, instrument aux dimensions impressionnantes, même selon les standards de ce lieu. Placé sur la plus haute plate-forme de sa chambre toute en verticalité, juste en dessous d'une immense verrière décorée d'un vitrail représentant l'affrontement entre un ange et une créature à l'apparence d'un minotaure, Raphaël se laissait enivrer par sa mélodie, s'oubliant entièrement dans sa musique, à tel point qu'il n'avait pas remarqué le visiteur qui se présentait derrière lui.
« - Intéressant choix de partition, mon cher. La Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner... La perspective d'aller rosser un simple mortel te mettrait-elle tant en joie, que tu te sentes d'humeur guerrière ? ironisa le chef des armées divines.
- Est-ce là l'opinion que tu te fais de moi, Michaël ? Un monstre assoiffé de sang et ne vivant que pour la curée ?
- Que nenni, Raphaël. Même si tu aimes à donner de toi l'image du hardi guerrier représenté sur cette fresque, je connais ta vraie nature. Mais je ne peux m'empêcher d'être dubitatif face à la dichotomie entre ta passion pour la musique et ton aversion à peine dissimulée des habitants du monde physique.
- Comment disent les mortels en pareille circonstance, déjà ? « Rendons à César ce qui est à César » ? Certes, je ne goûte que modérément à la vulgarité et à la décadence de ces créatures, mais même moi ne peux nier les rares saillies dont ils font preuve. Par ailleurs, j'ai décelé quelques vertus lénifiantes à cet exercice, et c'est pourquoi j'ai pris l'habitude d'y consacrer quelques instants avant chaque mission, pour concentrer mon esprit sur l'essentiel. Mais je l'avoue, le choix du morceau n'est pas totalement indépendant de mon humeur du moment.
- Ma foi, tant que tu restes conscient des enjeux, je n'ai rien à redire... Mais n'oublie pas que nous surveillerons tes faits et gestes depuis la salle du Trône. Tâche donc de conserver ton sang-froid. J'endurerais de devoir intervenir dans tes affaires si la situation venait à dégénérer, insista Michaël en tournant le dos à son confrère, prêt à regagner le sol.
- Avoue que tu exulterais de pouvoir me dénigrer devant le Très Haut Père, cracha Raphaël d'un air sardonique, alors qu'il terminait son morceau.

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DIES IRAE - Cycle I : L'Angicide
ParanormalSuite à un accident, Ben Maners sort du coma avec le pouvoir non seulement de voir le monde des Esprits, mais également d'interagir avec ses habitants. Ce don atypique attire rapidement l'attention du Ciel et de l'Enfer, et Ben va devoir découvrir d...