Chapitre 14

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Erine sentit le temps s'arrêter, les paroles de Kokuchu restant suspendues dans les airs, comme une massue au dessus de sa tête. En une seule phrase, il avait réussi à réduire à néant la joie et la paix que lui avait apportée cette journée à la fête foraine. Sa mère était là, dans le salon. Que faisait-elle ici ? Cette femme ne lui avait que peu accordé d'attention ces dernières années, préférant de loin travailler avec son neveu, Jiyu, qui était amplement plus doué dans le monde des affaires. Les mauvais souvenirs revenus à sa mémoire semblèrent s'entasser d'un seul coup, l'écrasant sous une forte frayeur et une appréhension sans nom. Elle n'avait pas envie de la voir, de lui faire face. Elle craignait cette femme et ce qu'elle pourrait encore lui faire. Pourtant, elle savait ne pas avoir le choix. Alors, d'un pas résigné et avec un air abattu au visage, elle prit la direction du salon, serrant instinctivement l'ours en peluche contre son cœur, comme si elle pouvait en tirer un brin de courage et de force pour la tempête qu'elle allait affronter.

Sa mère était assise dans le canapé, une flute de champagne en main qu'elle sirotait en regardant fixement sa tablette, tapotant dessus avec sa main libre. Elle s'en détourna légèrement en apercevant sa fille entrer.

- Erine, te voilà enfin, fit-elle froidement en déposant sa tablette à côté d'elle. Je pensais que tu n'allais jamais oser venir te présenter à moi.

- Je n'étais pas à la maison mère, je ne pouvais deviner votre venue ici.

- Et que faisais tu hors de la maison ? Il me semble qu'au vu de la situation actuelle tu as bien mieux à faire que te promener et profiter oisivement de la vie. Je suis très déçue de ton comportement, je pensais que ce voyage au Japon pourrait te faire gagner en maturité et expérience, mais je me rends compte que tu n'es qu'à un niveau pitoyable.

Erine se mordit la lèvre, sentant la colère faire palpiter ses veines.

- Tes notes sont horriblement basses, Kokuchu m'a montré ton relevé de notes et j'ai du prendre du champagne pour m'en remettre. Jamais je n'avais eu autant honte. Et dire que tu portes le nom des Kibo.

- Je n'ai pas décidé de rejoindre un lycée ni même de venir au Japon en n'en parlant pas un seul mot, répliqua Erine qui faisait de son mieux pour ne pas perdre patience.

- Tu n'avais qu'à apprendre cette langue avant, tu es franco-japonaise et tu devrais en être fière, Erine. Mais ce que je constate c'est surtout que tu te plais dans la médiocrité et la bassesse.

- J'apprends le japonais mère ! Je fais de mon mieux et je travaille chaque soir jusqu'à des heures sans noms !

- Pas assez, sinon nous pourrions constater une évolution, mais il n'en est rien. Ton cousin lui a su maitriser cette langue alors qu'il n'avait même pas encore dix ans, et je ne te parle pas des innombrables talents qu'il possède et dont tu es totalement dénué.

- Je ne suis pas Jiyu ! s'écria Erine plus fort qu'elle ne l'aurait voulu.

En voyant le regard de sa mère, aussi violet que le sien, se froncer et prendre un air menaçant, elle su qu'elle venait de dire la phrase de trop. Lentement, Savania Kibo déposa sa flute sur la table basse en verre noire et se leva. Elle était une femme assez grande, son tailleur impeccable lui donnant un air autoritaire et supérieur qu'elle ne cachait pas.

- Pardon ?

Sa voix claqua sèchement dans l'air, mais elle n'élevait pas le ton. C'était ça le plus terrifiant avec cette femme. Elle avait la capacité de faire plier n'importe qui sans avoir besoin de crier ou se faire entendre. Le calme dont elle faisait preuve pétrifiait Erine sur place, qui ne pouvait pas bouger. Savania avançait lentement, ses talons claquant sur le sol, comme un décompte avant l'explosion.

- Depuis quand me parles tu sur ce ton, Erine ? Je ne crois pas t'avoir ainsi élevée.

Erine aurait voulu dire bien des choses, comme par exemple que jamais elle n'avait vraiment été élevée par sa mère, ou bien qu'elle faisait ce qui lui chantait. Mais chaque phrase, chaque mot se bloquait dans sa gorge, la laissant muette et démunie.

Sa mère s'arrêta devant elle, son ombre l'englobant, ses yeux la tenant figée.

- Il me semble que tu as beaucoup mieux à faire que sortir et fricoter avec des gens du bas peuple. Désormais, tu resteras à la maison le soir à étudier, et je ne te permets pas de sortir le weekend pour faire quelques affaires ingénues et sans importance. Maintenant, va dans ta chambre et fais la seule chose que tu dois faire, travailler.

Erine ne pu rien dire, ni contester. Elle sentait l'écrasant supériorité de sa mère l'oppresser et la muselé, l'enchainant de toute part. Elle était piégée, incapable de s'échapper de cette cage.

- Bien mère, furent les deux seuls mots qu'elle arriva à articuler.

- Et une dernière chose avant que tu ne partes.

D'un geste vif, la serre qui servait de main à sa mère s'empara de l'ours en peluche, le retirant brutalement des bras d'Erine.

- Tu n'es plus une enfant, ce genre de jouet inutile n'a pas à se trouver ici.

- Mère non ! Laissez-moi vous-

- M'expliquer peut être ? Il n'y a rien à expliquer. J'ai parfaitement compris la situation et je vais agir pour rectifier tes erreurs, tu devrais me remercier.

Elle prit la tête de l'ours et tira dessus d'un geste sec, l'arrachant et répandant au sol de la mousse et des bouts de tissus. Erine sentit une pointe de douleur traverser sa poitrine, comme si c'était sa tête que sa mère venait d'arracher. Son seul et unique cadeau venait de se faire réduire en charpie, sous ses yeux, une nouvelle fois.

Ne trouvant plus les mots pour se défendre, elle baissa la tête et se rendit dans sa chambre. Elle aurait voulu pleurer, mais aucunes larmes ne voulaient se frayer un chemin jusqu'à ses yeux, comme si son corps était desséché. Elle pensa alors à Claude, peut être serait-il capable de l'aider ? Après tout, il avait cet étrange talent de la faire se sentir mieux, avec ses taquineries et moqueries innocentes.

Sans perdre un instant elle l'appela et attendit. Il y eu plusieurs secondes avant que l'on ne décroche.

- Claude, c'est Erine, j'ai besoin de-

- Bonjour madame, désolé c'est pas Claude !

Erine fut surprise d'entendre une voix d'enfant, qui donc venait de décrocher si ce n'était pas le roux ?

- Pourrais tu me passer Claude je te prie ?

- Il est occupé, une fille de sa classe est venue le voir apparemment.

Le cœur d'Erine arrêta de battre et ses yeux laissèrent cette fois échapper de véritables larmes.

- Ce n'est rien, merci.

Elle raccrocha et balança son portable sur le lit, lâchant un cri de rage et de frustration. Elle ne comptait pour personne, elle n'avait fait que se bercer d'illusions tout du long. Elle était seule, totalement seule dans cette vie. 

Un parfum envoûtant [Fanfiction IE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant