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Quand son cours de politique avec Chiron fut fini, Ari ne perdit pas de temps et rejoignit directement la place Agora à pied. Il s'était passé à peine deux jours depuis le repas national, mais le jeune homme était vraiment impatient de revoir cet homme qui l'intriguait tant.

Les lieux n'avaient pas changé depuis la fois où il avait rencontré Ostrace : les pavés s'alignaient parallèlement, certains coupés par des rayons de lumières qui luttaient pour se faire une place parmi ces grands immeubles ; quelques personnes la traversaient, mais ne s'arrêtaient jamais.

— Tu reviens déjà, observa une voix surgissant derrière son dos, le faisant sursauter.

C'était Ostrace.

— Comment vous faites pour toujours arriver sans qu'on ne vous remarque ?

— De quoi voudrais-tu dialoguer avec moi aujourd'hui ? Demanda l'homme plus âgé sans répondre à sa question.

Mais Ari ne sut quoi proposer ; à dire vrai il n'y avait rien dont il voulait parler en particulier, il voulait juste discuter et découvrir un peu plus cette personne qui le captivait.

— Apprenez-moi ce que vous savez.

Ostrace se mit soudainement à rire, alors qu'il commençait à marcher. Ari suivit ses pas, mais n'osa rien répliquer après cette réaction étrange. Peut-être n'aurait-il pas dû être aussi direct ? Peut-être en avait-il trop demandé ? Après tout il devait être encombrant pour cet homme, à vouloir le suivre, lui parler. . .

— Cher Ari, s'il y a bien une chose que je sais ; c'est que je ne sais rien, répondit Ostrace en souriant.

Il marchait d'un pas léger, les pieds déchaussés, et portait des vêtements larges, lui permettant de confortables mouvements. Son visage, lui, commençait à être marqué par le temps, et pourtant, il ne cherchait pas à le cacher, ni les petites rides aux coins de ses yeux, ni les plissures de son front. Mais le plus frappant était son sourire, son air serein, son air réellement serein ; cet homme ne dégageait que calme et apaisement, comme s'il n'avait aucune peur, comme si rien ne l'entourait ou ne le tourmentait.

A partir de ce moment là, et jusqu'à sa mort, si on avait demandé à Aristoclès de représenter la sagesse, c'est Ostrace qu'il aurait pointé du doigt.

— Regarde le monde autour de toi.

Et c'est ce qu'Ari fit : il observa les hauts immeubles qui les entouraient, les petites et grandes rues coincées entre leurs murs, les passants qui passaient, marchaient, couraient, avant de disparaître dans l'obscurité d'une allée. Une fois encore, ils portaient tous une montre, et cet élément était si visible, que le jeune esprit se sentit étouffer.

— Regarde tout ces gens, lui répéta Ostrace. Maintenant imagines qu'ils soient nus, sans vêtement, sans chaussure et surtout sans montre. Que leur resterait-il ? Leur humanité ? Leur savoir ? Leur connaissance ? Prend le temps de réfléchir et donnes-moi ta réponse.

Le jeune homme n'eut besoin que de quelques secondes, car la réponse lui parut évidente.

— Non, ils...Ils n'auraient plus rien. C'est vrai, ils se fient tous à leur montre et se reposent sur cette sécurité. Personne ne cherche à comprendre réellement, comme l'homme qui vous avait bousculé l'autre jour, ils se contentent de ce qu'on leur dit.

— Donc, que savent-ils réellement ? Demanda Ostrace d'un air posé.

— Ils ne savent...Rien. Absolument rien.

— Exactement ! Mais en ont-ils conscience ?

— Non, bien-sûr que non ! Ils se croient tous supérieurs, comme si, comme si tout leur était accessible, comme s'ils leur suffisaient de claquer des doigts pour que tout le savoir du monde soit à eux. Mais vous, vous avez conscience de votre ignorance, de notre ignorance.

Quand Platon sortit de sa caverne [ Wattys2021]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant