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Le lendemain matin, après avoir déposé Elpis à l'école en métro, Ari gagna les bancs de l'Assemblée Nationale, où se trouvaient déjà le député Dracon, son secrétaire et Sophia.

Il avait passé une bonne partie de la nuit à se demander s'il irait, s'il avait encore sa place là-bas. Mais il était curieux de savoir qui prendrait la suite de son beau-père, et surtout, comment réagiraient les autres politiciens à l'annonce de sa mort.

Lorsqu'il franchit les portes de l'amphithéâtre, il sentit son estomac se contracter : c'était la toute première fois qu'il était seul pour assister à la réunion mensuelle. Mais Sophia, dès qu'elle l'aperçut, ne tarda pas à venir le saluer.

— Ari, te voilà. J'ai cru que tu ne viendrais pas.

— Eh bien. . . Hum, me voilà.

— Mélétos m'a appris pour la disparition du député Gramma, lui dit monsieur Dracon en s'approchant à son tour. J'espère que son remplaçant sera tout aussi efficace.

''Disparition''.

Quel doux euphémisme. Mais non, il n'avait pas juste disparu, sa famille n'avait pas disparu dans une autre ville où il ne savait où. Ils étaient mort. C'est tout. Mort. Empoisonnés par de stupides montres, mais ça, personne ne s'en souciait.

Il préféra donc ne rien répondre, et partit s'installer sur un siège. Toutefois, en regardant tout autour de lui, le jeune homme remarqua rapidement que quelque chose n'allait pas : il y avait bien plus de places vides que d'habitude. Les places de Nestor et de Pyrilampe étaient vides bien-sûr, mais d'autres sièges l'étaient tout autant. Les députés étaient-ils en retard ? C'était très rare, mais Ari ne voyait pas d'autres possibilités.

Les politiciens et leurs assistants attendirent donc l'arrivée de la présidente, comme à leur habitude. Mais les minutes passèrent, le brouhaha des discussions commença à se tasser, pourtant personne d'autres n'avait passé l'entrée. Le temps continua de s'écouler et la présidente ne s'était toujours pas levée, et pour cause, elle était également aux abonnés absent.

— Corveille, où est la présidente ? Demanda alors un député assis en bas de l'amphithéâtre.

— Actuellement, aucune personne n'est assignée au poste présidentiel du pays.

La réponse de la montre se propagea rapidement jusqu'aux derniers sièges, apportant avec elle questions et désarrois.

— Où est Héra Olympe ? Eût l'idée de demander le député de la météo dont Ari ne se souvenait jamais du nom.

— Héra Olympe est morte il y a sept jours, déclara sa montre.

Sept jours.

Voilà sept jours que leur pays n'était plus dirigé par personne, et ceux, dans l'ignorance la plus totale.

— Mais c'est impossible, réagit Sophia. Personne ne s'en ait rendu compte ? Et les agents qui viennent récupérer les corps, n'ont-ils prévenu personne ?

Dans l'affolement général, l'absence de dix autres députés fut mise en avant, et après avoir questionné leur montre, il s'avéra qu'ils avaient eux aussi perdu la vie.

— Ça va nous faire un paquet d'élections aujourd'hui. C'est bien de renouveler la politique parfois.

— J'espère que je vais être élu, je suis lasse d'être secrétaire.

— Quelle coïncidence quand même !

— Figaro, dit alors Dracon. Que devons-nous faire ?

— La présence d'un président est obligatoire pour annoncer le début d'une réunion.

Alors monsieur Dracon se leva afin d'attirer l'attention de ses collègues, avant de s'adresser à eux d'une voix portante :

— Nous allons devoir procéder à une nouvelle élection présidentielle. Nous allons tous voter pour l'un des député ici présent, celui qui en comptabilisera le plus sera élu.

Rapidement, tous les députés se tournèrent vers leur montre et posèrent la question fatidique :

— Pour qui dois-je voter au poste de président ?

Comme un leader,  Monsieur Dracon, suivant les indications de sa montre, dirigea les élections en interrogeant les députés sur leur votes.

Ce fut tout d'abord le député de l'écologie qui récolta les premiers votes, suivit par le député de la production marchande, mais bientôt, alors que seulement un quart des députés avaient voté, un autre nom se fit entendre :

— Je vote pour Sophia Turing.

Ari eut une étrange impression de déjà vu alors que, devant lui, Sophia écarquillait les yeux de stupeur.

— Non, c'est simplement un mauvais vote, dit-elle en riant. Je ne pourrais jamais être élue présidente.

Et pourtant, au fil des votes, les taux se resserrèrent. Bientôt Sophia eu autant de vote en sa faveur que le député de la production marchande.

— Non ce n'est pas possible, répéta-t-elle avec la plus grande incompréhension.

— Imagines, tu deviens présidente, ajouta Mélétos en lui souriant.

Ari, lui, était incapable de réagir et observait son environnement comme un simple spectateur.

— Le vote est clos, décréta Dracon. Figaro, quels sont les résultats de l'élection ?

— Avec un total de cent voix, Sophia Turing est élue présidente.

Ce n'est que lorsqu'il referma la porte de la maison, qu'Ari réalisa pleinement ce qu'il venait de se passer.

— Ostrace.

Celui-ci était en plein goûter, assis face à Elpis qui avait la bouche remplie de chocolat.

— Ostrace.

— Ah te voilà Ari, Elpis vient de me faire découvrir des biscuits forts délicieux, en veux-tu ? D'ailleurs mon ami, comment s'est passé, la réunion ?

— Sophia a été élue présidente, dit-il d'une voix lointaine.

A cette annonce, le plus âgé sembla pris au dépourvu, puis il se leva et s'approcha du jeune homme.

— Comment ça ?

Ari essaya donc de décrire le déroulement de la réunion avec le plus de détails possible. Il commença par évoquer la découverte de la mort de tous ces politiciens, puis l'élection précipitée. Il raconta ensuite comment Sophia avait pris la place de l'ancienne présidente, et avait dirigé la réunion, un peu perdu, en suivant les indications de sa montre. Ce ne fut qu'à la fin de la réunion que les onze députés morts furent remplacés, et de nouveau, la surprise : Mélétos avait été choisi pour remplacer Pyrilampe. Finalement personne n'eut l'idée d'observer la moindre seconde de silence en hommage aux absents.

Désormais, le jeune homme attendait avec impatience l'avis du philosophe sur le sujet, car lui même était perdu.

— Je t'avoue que je ne sais pas quoi en penser, admit à son tour Ostrace. Ou plutôt j'ai bien trop d'hypothèses toutes plus invraisemblables les unes que les autres.

— Et pour les anciens députés, vous pensez qu'ils ont été empoisonnés ? Comme Pyrilampe. Et Nestor ? Ça ne peut venir que des montres ! Ou alors c'est un complot, ce n'est pas possible qu'autant de personne ayant le même poste perdent la vie dans un si court laps de temps !

— Du calme Ari, je n'ai pour l'instant aucune idée de ce qu'il s'est passé. Mais nous allons y réfléchir, et démêler le vrai du faux. En attendant, reste proche de mademoiselle Turing.

— Pauvre Sophia, elle doit avoir du mal à se faire à tout ces bouleversements. Il y a encore deux mois elle ne connaissait rien à notre société, et voilà que maintenant elle a été choisie pour nous diriger.

Ostrace sembla soucieux quelques instants, puis il révéla le fond de sa pensée :

— Oh mais je ne pense pas que ta chère amie soit si mécontente de son nouveau poste. 

Quand Platon sortit de sa caverne [ Wattys2021]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant