Dans la même nuit de décembre à Nantes
Et Roxette chantait [it must have been love]
-On avance? A ce rythme-là, il fera jour qu'on sera toujours dehors!
Il me sourit avec malice mais reprit son baiser là où il venait de l'interrompre. La charge émotionnelle qui me traversait m'écrasait littéralement. J'étais figée contre son corps sans pouvoir réagir.
Je découvris qu'il vivait non loin de la "Primavera" dans un appartement sous les toits sobrement décoré mais qui devait être agréable à vivre. La charpente était assez haute pour qu'on ne s'y sente pas étouffer et délimitait deux pièces principales, un salon bureau cuisine et une petite chambre. L'espace le plus important semblait être le bureau qui croulait de livres, de codes civils, de classeurs grand ouvert. Grégoire ne mentait pas quant il m'avait annoncé plus tôt dans la soirée qu'il vivait une année studieuse. Tout son appartement semblait dédié à ses études: des cours étaient affichés, un abonnement au monde et à une revue juridique encombraient la table basse. Les étagères étaient gorgées, elles, de livres, de CD et de tickets de cinéma. Je découvrais aussi un Grégoire cultivé, très porté semble t-il sur le roman policier. Si j'avais une idée de ses goûts musicaux, son appétence à la lecture de romans noirs m'était inconnue. J'étais assez fascinée par la découverte de son univers, de ce qu'il était vraiment et pas uniquement de ce qu'il avait toujours choisi de me donner.
-tu veux un café?
Grégoire s'approcha de moi et sa proposition me surprit me sortant de mon état second. Il s'en rendit compte.
-C'est dingue qu'on soit ensemble depuis dix minutes et que je ne t'ai pas encore déshabillé, c'est ça? C'est ce que tu te dis n'est ce pas?
Je suis restée silencieuse sur sa question qui n'en était pas une. Quoi répondre? Mentir pour ne pas ouvrir un sujet que je n'avais pas la force maintenant d'avoir avec lui? Ou tout miser sur la sincérité au risque de déclencher la discussion que nous n'avions jamais réellement eue?
-Disons que cette situation est inhabituelle. Je n'ai jamais su où tu habitais, je ne connais rien de ton univers et tu ne m'as jamais offert quoique ce soit, ne serait-ce qu'un café! Alors oui, ma question est "quand me déshabilles tu?"
Je lui souris avec tendresse comme pour apaiser mes mots. Grégoire se pencha et m'embrassa avec la même douceur, ses mains entouraient mon visage sans me quitter des yeux. Je ne réussissais pas à comprendre ce que j'y lisais: un mélange de tristesse et de mélancolie.
-Je veux bien un café oui.
Mon sourire sembla l'apaiser. Il est reparti dans le coin cuisine et je continuais l'exploration de son univers et de sa bibliothèque bondée. Je découvrais ses goûts éclectiques. Un roman policier suédois trônait sur le canapé avec un marque-page "Sprängaren" de Liza Marklund(1).
- c'est ce que tu es entrain de lire?
Il hocha la tête par dessus sa cafetière.
-je viens de le finir. Tu connais?-Lisa Marklund est une star de la littérature suédoise actuellement. On la voit partout. Elle est venue faire une conférence dans mon université le mois dernier. Elle est passionnante.
-Quelle chance! J'aime beaucoup ce qu'elle écrit
-je n'ai pas encore lu celui là. En Suède, on ne trouve pas de version française et pour moi c'est encore trop complexe de lire en suédois.
-je te le conseille
Je continuais l'exploration de sa bibliothèque
-tu n'as pas de photos?
-ça ne ressemble pas à chez toi effectivement !
Il faisait référence au mur de mon ancien appartement couvert de photos. Il le regardait souvent quand il venait, curieux de ma vie.
-Tu en as reconstitué un à Stockholm?
-j'ai apporté quelques photos et j'en ai affiché de nouvelles.
-nouvelle vie...
Il n'avait pas répondu à ma question, je le connaissais assez pour savoir qu'il avait esquivé le sujet et je n'ai pas insisté. Il n'y avait pas de photo d'Anne chez lui. D'ailleurs il n'y avait aucune trace d'une présence féminine. Aucun objet féminin, aucun indice qui prouvait son existence. Et pourtant Anne était bien réelle.
Je l'avais vu une seule fois, sur la piste de la Primavera, dans ses bras. Elle avait envahi "notre" espace. Il m'avait prévenu la veille qu'elle serait présente. C'était une veille de vacances de printemps, la boite de nuit était bondée. La veille j'étais dans ses bras sur cette même piste et là c'était elle. Je l'avais imaginé avec de grands cheveux blonds, une allure élancée et je ne m'étais pas trompée. Jamais je n'avais ressenti autant de chagrin et de jalousie. Il l'enlaçait, dansait avec elle et je n'étais plus rien. Il savait que j'étais présente, que je les voyais. Nous nous étions croisés un peu plus tôt. Il m'avait embrassé rapidement sur la joue
-je ne suis pas seul, m'avait-il soufflé comme un rappel
- je sais, tu me l'as dit hier soir. Tu n'as pas à t'inquiéter
-je sais Charlie. Je ne le mérite pas, mais je sais.
Nous nous étions quittés rapidement avant qu'elle ne réapparaisse. J'étais l'invisible et j'allais le rester. Cette nuit-là, je me suis faite draguer par un étudiant. Mon groupe d'amis avait sympathisé comme on peut faire connaissance en boite avec une autre bande de potes. Cinq garçons drôles qui avaient envie autant que nous de s'amuser. Thomas avait vite pris ma main, on a beaucoup discuté assis l'un près de l'autre sur une banquette à boire des malibus. Et sans savoir je lui avais raconté la situation. Cet illustre inconnu m'avait écouté me confier puis m'avait tendu la main au début de la série des slows.
- et si on le rendait jaloux?
Je m'étais abandonnée dans ses bras le temps de quelques chansons lentes et il m'avait embrassé en me glissant "moi c'est Tom". Il n'avait pas cessé de m'enlacer alors qu'il savait très bien que je regardais par dessus son épaule Grégoire et Anne danser plus loin sur la piste. Grégoire m'avait vu et m'avait encouragé d'un sourire contrit. La situation était absurde. Je crois que c'est ce sourire plus que tout qui m'a achevé. J'ai quitté lâchement Thomas et cette soirée. Il ne m'a pas retenu comprenant lui aussi que rien n'était possible.
Debout dans l'appartement de Grégoire, je me suis soudain demandée ce qu'était devenu ce Thomas si souriant, si avenant et combien de Thomas j'avais manqué au nom de Grégoire.
-Charlotte?
La voix de Grégoire me sortit de mes songes.
-Oui?
-tu veux du sucre?
-Euh non...
-Ca va? me demanda t-il en s'approchant? Tu as l'air ailleurs...
Je l'ai regardé. Oui j'étais loin, des mois en arrière...et pourtant. Nous en étions de nouveau là, l'un face à l'autre.
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Pour en découvrir plus sur la littérature policière scandinave: www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2010-4-page-739.htm
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L'Hiver suédois
RomanceCharly et Grégoire, deux étudiants se rencontrent un soir en boite, une rencontre qui ne devait durer que le temps d'une nuit. Greg a déjà une copine, ils vont se fiancer, se marieront un jour et il ne veut pas remettre sa vie en question. lls ne de...