12. [Jonas] Sur le pont d'un ferry

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Et Lionel Ritchie chantait [https://www.youtube.com/watch?v=b_ILDFp5DGA]

En novembre,

Stockholm croulait sous la neige depuis déjà deux semaines. Si les Suédois ne semblaient surpris de rien, aucun Erasmus ne s'était encore habitué à ce spectacle magique. Pas une sortie ne finissait sans une bataille géante de boules de neige . Nous avions acheté en catastrophe des chaussures fourrées, des bonnets et de gros gants comprenant que nous allions évoluer dans un milieu bien particulier. En arrivant en boite tard le soir, on se calait sur les Suédoises : elles troquaient leurs boots de neige contre de hautes chaussures à talon, leurs pulls en laine contre de petits tops et sur leurs cheveux aucun flocon de neige n'avait pas résisté.

Nos nuits commençaient à être plus longues que nos jours. Les fins de semaine étaient très festives, cette année était placée sous le signe de la liberté, de l'épanouissement et nous ressentions tous ce sentiment. Pas une semaine, une groupe n'organisait une fête, prévoyait un voyage en Estonie ou Finlande, une escapade à Malmo ou un foot sur la Baltique gelée.

Avant que la neige ne fasse son apparition, je m'étais mise à courir. Si j'allais de temps à autre à la piscine en France avec mes amies, la Suède m'avait donné envie de plus. Ma nouvelle vie étudiante correspondait à ce que j'avais toujours eu envie de vivre.  L'énergie folle qui se dégageait de cette ville et de notre rythme de vie me donnaient envie de bouger plus.  Voilà comment je me suis retrouvée dans un magasin de sport à choisir mes premières chaussures de runing. Petit à petit, après avoir sué et failli abandonné un jour sur deux, j'ai fini par y prendre du plaisir. Mes progrès étaient pourtant faibles. Je n'avais dit à personne que je m'étais mise au sport. C'était un moment face à moi-même et je suais encore trop pour assumer ! 

Les journées à l'Université étaient aussi intenses : il fallait suivre les cours en anglais et rédiger aussi dans cette langue. La concentration était nécessaire parfois peu compatible avec nos nuits sans trop de sommeil. Je devais aussi effectuer chaque semaine de longues recherches dans la bibliothèque nationale pour rédiger mon mémoire. Mon directeur d'études m'avait proposé de plonger dans les archives personnelles d'un diplomate français en poste à Stockholm avant la seconde guerre mondiale. Il y était mort et personne n'avait, étrangement, récupéré ses archives. J'adorais me plonger dans la vie de cet homme, reconstituer à travers son courrier, ses photos, ses notes ce qu'avait été sa vie. Ça me prenait des heures assise dans la grande rotonde de la Bibliothèque. Ce bâtiment à l'extérieur assez austère était fabuleux une fois qu'on y entrait. Un aménagement circulaire sur plusieurs niveaux permettait d'admirer des milliers de livres en étant assis aux grandes tables de travail.

C'est ici, un après midi de grand froid que j'ai rencontré Jonas. Il avait neigé toute la matinée, le ciel était bas et j'avais fait l'erreur d'oublier mon bonnet. J'en étais à mon troisième café quand, assis face à moi, il m'a abordé

-bonjour, tu es française ?

J'ai relevé la tête surprise de découvrir ce garçon blond face à moi. Lui aussi croulait sous les livres et les notes. Depuis quand était il assis face à moi , je n'en avais aucune idée ! Il était blond avec des cheveux que je supposais mi-longs. En réalité, c'était un amas de boucles enchevêtrées en une tignasse informe.

-oui ! tu connais la France ?

La scène était classique. Les Suédois vivaient de manière cosmopolite et connaissaient bien la France et le Français. J'étais régulièrement interpellée quand on découvrait ma nationalité

-j'ai vécu un an à Lyon, étudiant Erasmus

-je suis Erasmus à Stockholm pour l'année, lui ai-je répondu en souriant. Ton français est parfait, bravo ! Je ne parlerai pas suédois comme ça en juin !

- j'ai eu une copine française pendant six mois, ça m'a aidé. Comme vous dites si bien « il faut pratiquer la langue au maximum ! »

Nous avons éclaté de rire bien trop fort pour ne pas nous faire reprendre par l'employée assise non loin. Les Suédois ne rigolaient pas eux avec le respect de l'ordre !

-je t'offre un café ? Tu sembles une grande consommatrice !

Il était donc assis depuis un bon moment face à moi pour avoir remarqué ça.

Nous avons passé plus d'une heure assis dans l'un des épais canapés du café de la bibliothèque à nous raconter son année française et mon début d'année suédoise. Jonas était quelqu'un de très gai et avenant. J'ai trouvé vite plaisant de sortir de notre giron erasmus sans avoir réalisé jusqu'ici que ça commençait à me peser. IL m'a demandé mon numéro de téléphone espérant qu'on pourrait vite se retrouver. Nous avions évoqué des endroits que je ne connaissais pas dans Stockholm et plus à l'extérieur dans l'Archipel et Jonas s'était proposé de m'en montrer quelques uns.

Le samedi suivant, je n'ai pas été surprise d'entendre sa voix au téléphone et j'ai filé le rejoindre.

-prends ton bonnet cette fois-ci, il va faire encore froid et on trouvera bien un café pour te réchauffer.

Ce sont surtout ses lèvres qui m'ont réchauffées alors qu'on partait sur le petit ferry pour quitter l'île de Skeppsholmen et le musée d'art moderne. Nous avions passé l'après midi à déambuler dans l'Exposition Edward Munch et son fameux « cri ». Admirer une expo avec Jonas était aussi passionnant que drôle. Je découvrais un garçon très cultivé mais semblait ne pas vouloir trop le montrer.

Il n'avait pas voulu qu'on rentre dans la cabine du ferry malgré le froid.

« la Suède ça se vit au grand air " avait-il clamé.

- N'empêche que je suis congelée ! Tu ne pourras jamais me décrocher les mains de cette barre si je la tiens !

C'est là qu'il a posé tout doucement ses lèvres sur les miennes.

-alors je vais plutôt poser mes lèvres sur les tiennes. Quite à laisser quelque chose accroché, je préfère que ça soit ça...

Il m'a embrassé encore et j'ai senti une douce chaleur m'envahir soudain. Je n'avais eu personne de l'été et depuis mon arrivée en Suède, je n'avais embrassé que Niels sans en avoir aucun souvenir ! Mon dernier vrai baiser datait donc de Grégoire. Cette pensée me vint aussi vite que j'ai voulu la chasser. 

J'étais sur un ferry suédois avec un garçon blond, doux, rieur et à cet instant je n'aurais pas voulu être ailleurs.


L'Hiver suédoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant