2. [Grégoire] Et ce fut la dernière fois

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Et Dépêche Mode chantait [https://www.youtube.com/watch?v=_6FBfAQ-NDE]

En Septembre de l'année d'avant,

J'ai rencontré Grégoire une nuit, sur une piste de danse. J'étais étudiante depuis un an, je passais beaucoup plus de temps en discothèque et dans les cafés que sur les bancs de la fac. Les études que j'avais choisies m'intéressaient mais beaucoup moins que les fêtes, les garçons et mes amis. Je découvrais la liberté de vivre seule.

J'avais emménagé il y a un an dans ce que l'agence immobilière avait pompeusement nommé « appartement ». L'immeuble était vieux, les chambres presque vétustes. J'avais décollé le vieux papier peint à fleurs, passé un coup de blanc, astiqué le parquet et installé les meubles que j'avais déniché dans le grenier de mes grands parents.

Et ça me suffisait. Le bonheur était ailleurs, juste derrière ma porte : l'immeuble et ses loyers plus qu'abordables attiraient beaucoup d'étudiants et nous formions une communauté vivante de jeunes fêtards. J'avais couché très vite avec mon voisin de palier qui serait devenu l'homme de ma vie s'il ne m'avait pas largué dès le lendemain matin. François deviendrait un ami, ma rancœur passée et un confident pour les matins qui succédaient mes nuits sans lendemain. 

Le jeudi soir était « le » soir de la sortie en discothèque avant que nous rentrions chacun chez nos parents pour un week-end de mise au vert.

Louise et Maude, mes copines de lycée qui avaient émigré avec moi « à la ville » me rejoignaient. Nous nous préparions ensemble pour sortir et c'était mon moment déprime de la semaine. Comment m'habiller ? Comment me coiffer, me maquiller ? Je n'avais jamais été très féminine, personne ne m'avait appris. Ma mère était d'un physique pragmatique ; cheveux courts, ça évite de les coiffer, pas de maquillage, ça évite les ratés, pas de parfum, ça évite l'asphyxie. J'étais la cadette d'une fratrie et mes deux grands frères ne m'avaient pas aidé dans cette quête de féminité!

Juste adolescente, il avait été plus simple pour moi de devenir un garçon manqué. A 19 ans, j'essayais donc d'atténuer cette allure masculine quelques petites rondeurs aidant, mais rien n'était simple. Je n'avais pas de repères et des copines ultra féminines. Ce soir là, avant qu'elles n'arrivent, j'en étais encore à essayer une dizaine de hauts et déprimer.

-Ah ! Charlotte a mis son uniforme, la soirée peut commencer !

Louise venait de sortir sa réplique favorite en entrant dans mon « appartement ». Elle faisait référence à mon 501, mes sébagos et ma chemise bleu ciel.

-Cocotte ! Quand vas tu cesser de t'habiller comme à St Ex ?

De nos années lycée, j'avais effectivement gardé ce « dress code » et je l'aimais. Ce soir- là j'avais pris cette grande décision de m'habiller comme j'aimais, comme je me sentais bien. N'en déplaisent aux fashionistas. Je leur concédais de brosser mes cheveux devenus plus longs et de mettre quelques bracelets et un peu de maquillage.

Je nous ai servi nos traditionnelles malibu-ananas avant que les garçons n'arrivent avec la téquila et les pizzas et nous avons entamé notre sujet favori : leurs déboires amoureux. Louise et Maude n'avaient pas grand chose en commun si ce n'est d'avoir gardé leurs petits amis conquis au lycée. Sébastien le copain de Maude, pâtissier, était resté travailler dans la petite ville de notre enfance menant une petite vie routinière mais qu'il appréciait grandement ! Henri, celui de Louise, était parti étudier en école de commerce à Paris. A son grand désespoir, elle n'avait pas eu les moyens de le suivre et elle comprenait de plus en plus que ça arrangeait Henri. L'une comme l'autre réalisaient le gouffre qui se creusait dans leurs couples. Elles sortaient beaucoup depuis que nous étions à la fac pour oublier les Hommes qui les avaient déjà oublié et surtout pour rattraper ces années lycée qu'elles avaient vécues en « couple établi ». La sécurité et le bien-être de l'époque leur apparaissaient désormais comme une vie pépère de vieux avant l'âge.

Alors l'alcool aidant et mes voisins de palier arrivant avec le ravitaillement, nos soirées tournaient vite à l'euphorie. Les larmes viendraient pour chacune le lendemain moi y compris !

Chaque jeudi soir, je portais le secret espoir de rencontrer l'Homme de ma Vie ou du moins un copain avec lendemain. Je le trouvais facilement sur la piste de danse, on s'embrassait aussi rapidement et nous finissions ce qui restait de la nuit ensemble. Au petit matin, l'un ou l'autre dessaoulant se rendait compte que nous n'avions pas grand chose en commun et fuyait. C'était rarement moi, reconnaissons le.

C'est ainsi que Grégoire est apparu dans ma vie et qu'il en sortit encore plus vite que les autres.

Cette soirée d'octobre était poussive. Il y avait un monde fou parce qu'après un mois de reprise, les étudiants découvraient ou revenaient en boite. J'avais croisé quelques têtes connues, Maude discutait depuis une heure avec un de mes nouveaux voisins de palier, Thomas, et Louise dansait avec une énergie folle. En revenant avec un autre verre de malibu, j'ai traversé la piste et il était là à danser.

Je l'ai jugé aussitôt aussi peu frais que moi. Nos regards se sont croisés et il faut croire que ce soir-là ça a suffi. Je me suis arrêtée pour danser face à lui. Il l'a remarqué. Un étudiant comme tant d'autres, sobrement habillé comme j'aimais. C'est son regard qui m'a retenu. Ce n'était pas un slow mais nous avons dansé tel que. Quand il m'a embrassé, nous n'avions toujours pas échangé un mot. Ses lèvres m'ont plu autant que ses yeux, son haleine sentait le gin , la mienne la cigarette et le malibu.

- Je m'appelle Greg au fait...

Il m'a embrassé encore, ses mains glissant rapidement de mes épaules vers le bas de mon dos.

-Grégory ?

-Non, Grégoire.

Je lui ai souri et il n'a pas su pourquoi.

-Moi c'est Charly

- Pour Charles ? Il a souri à son tour

- Charlotte !

Il a approché sa bouche de mon cou, a pris mon oreille entre ses lèvres et a murmuré

-on en mangerait...

Nous avons continué à nous frotter l'un contre l'autre, quelques mouvements assez indécents sur le bord d'une piste de danse bondée...et nous nous sommes quittés. Ainsi. Sans aucun autre mot. Je ne sais pas ce qu'il a fait du reste de sa nuit, la mienne fut solitaire pour une fois.

Au déjeuner le lendemain, à la cafèt de la fac, lors de notre traditionnel debriefing de soirée, aucune des filles n'a évoqué ce garçon que j'avais embrassé. Aucune ne nous avait vu et moi je l'avais presque oublié. L'important était ailleurs : Maude venait de passer la nuit avec un de mes voisins, Nicolas. Elle avait couché pour la première fois avec quelqu'un d'autre qu'Henri, ne regrettait rien mais se demandait comment Nicolas en couple avec une autre de nos voisines de palier, Aline , allait gérer ça.

J'oubliais Grégoire jusqu'au jeudi suivant. Et ce fut la dernière fois.

L'Hiver suédoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant