Chapitre 18

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Peter ferma la porte à clé avant de poser les mains sur le lavabo, le regard dans le vide, la tête baissée. Puis il se mit à pleurer. Ses ongles se crispèrent sur l'émail du meuble. Il s'empêcha de hurler. C'était des larmes de pierre qui coulaient. Elles lui faisaient mal, elles ne voulaient pas couler sans bruit. Mais si le médecin l'entendait, il lui demanderait encore ce qu'il y avait. Et il ne voulait pas lui dire. Il ne pouvait pas lui dire. Pas encore, ou peut-être même jamais. Il voulait seulement retrouver Clément, que rien ne se sache, que ça n'aille pas plus loin qu'un enlèvement de quelques mois par des personnes étranges qui croyaient que l'homosexualité était une maladie. Il aurait voulu ne pas avoir à demander de l'aide. Pour ne pas avoir à mentir, pour ne pas se crisper dès qu'il parlait un peu trop ou qu'on lui posait une question tendue.

Il se sentait si seul, si perdu. Déjà trois mois, mais aucune piste. Gérard était plus méthodique que lui, plus calme et réfléchi. C'était une qualité qu'il n'avait pas, mais il avait l'impression que rien n'avançait et il refusait de lui dire toute la vérité. Il n'était pas prêt.

Il avait été persuadé que rendre cette visite illégale au domicile de leur agresseur aurait débloqué toute la situation, mais rien, elle n'avait rien avancé ! Il en était fou de rage, et de douleur.

Il n'en dormait plus vraiment la nuit. Il se faisait les pires scénarii dans le noir, seul, après une nouvelle journée éprouvante et sans éléments intéressants. Il l'imaginait ne jamais le revoir, ne jamais le retrouver. Il voyait Alexandre inanimé, dans ses bras pleins de son sang, tabassé à mort, et plus aucune piste à suivre, plus rien pour le mener à Clément. Il se savait si peu prudent et peu prévoyant qu'il finirait jugé puis emprisonné, et lui aussi, on lui ferait la même chose. La nouvelle se répandrait à travers le pays puis le monde.

Il secoua la tête, comme à chaque fois. Il fallait chasser ces pensées extrêmes. Il n'en était pas encore là. Il fallait qu'il se calme. Rapidement.

Mais c'était déjà trop tard. Il le sentait. Déjà son bras se mettait à trembler.

La rage, la haine, la peur, la terreur le prenaient à la gorge. Les sanglots l'empêchaient de respirer correctement. Ses mains se crispaient de plus en plus sur le lavabo, jusqu'à faire grincer ses ongles sur le matériau. Un poing partit. Droit dans la vasque. Il ignora la douleur, ou plutôt ne semblait pas la sentir. Il avait les dents serrées. Ses yeux, lorsqu'il releva la tête face au miroir, étaient injectés de sang, écarquillés. Son front était parcouru de rides de fureur. Lui ne voyait pas son reflet, le regard dans le vide, dans un autre monde. Il haletait. Il commença à grogner, de plus en plus fort. Puis poussa des cris de plus en plus sonores.

Et ses poings pleuvaient, sur les murs, sur les meubles, sur tous les objets autour de lui. Et les coups de pieds se multipliaient, contre tout et n'importe quoi.

Puis, la poignée de la porte s'abaissa frénétiquement, accompagnée d'une voix inquiète et pressante.

"Peter, qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce que tu fais ? Ouvre la porte. Qu'est-ce qu'il y a ?"

La porte devint son souffre-douleur. Personne, personne ne devait le voir, l'entendre. Personne ne le verrait. Personne n'avait à lui dicter des ordres. Les mains ensanglantées de l'adolescent frappaient, ses pieds tapaient. Ses doigts écaillèrent la peinture, puis déformèrent le bois, enfin la porte s'ouvrit, dans un grand fracas.

Un homme face à ces yeux, assoiffés, enragés, vides, et pleins de haine. Un homme immobile, pétrifié. La haine, la violence, et la mort. Ce qu'il pouvait lire dans ce regard, ce regard si vide d'humanité.

Une fraction de seconde de peur-panique, une autre de sang-froid impensable.

La porte claqua, les coups pleuvèrent de nouveau, les hurlements résonnèrent, firent trembler les murs.

Parce que je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant