Partie II : Chapitre 22

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Peter, Peter, Peter...

Ce nom tournait dans sa tête. Il lui occupait tout l'esprit. Il avait fini par se souvenir. Uniquement de cela. De tout ce qui l'unissait à ce prénom.

A quatre pattes. Bouger. Passer la porte. Si loin. Si floue. Presque inatteignable.

Peter.

Ces flashs, ces sourires, ces éclats de rire. Maintenant il savait.

Un pas, puis un autre. Ne pas tomber, ne pas vaciller.

Une boule de goudron dans l'estomac. Des hérissons dans la gorge. Le désert dans la bouche.

Un bruit. Un seul. Fort. Trop fort. Les oreilles qui bourdonnent, le corps qui bascule. Une voix qui hurle, enrouée.

Une main qui attrape le vêtement ouvert, on le pousse, le soulève. Masse lourde et impuissante.

Un sourire démoniaque. Il le reconnaît. C'est lui ! Lui. Eux. Se défendre. Incapable. Même les yeux sont morts, presque éteints.

Peter...

Qu'était-il devenu...?

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Peter était assis en tailleur sur le lit. Il fermait les yeux. il respirait le plus profondément possible. Pour évacuer tout le stress et la panique qui grandissaient.

Rien ne s'était passé comme prévu depuis les trois dernières semaines. Il fatiguait d'espérer, d'y croire sans cesse, et de voir que tout se brisait en un seul coup. A chaque fois.

Il avait envie de frapper, de hurler, de ne plus se contrôler. Il voulait foncer tête baissée n'importe où, frapper tout le monde pour retourner ciel et terre, et qu'enfin cette torture s'arrête.

Mais il avait fait une promesse. A Gérard. Et à lui-même. Il devait se contrôler, il devait attendre, et lui faire confiance. Ne plus faire peur ni à Anton, ni à lui. Se contenir et croire en leur stratégie.

Mais comment ? Comment alors que tout était tombé à l'eau, que tout était compromis ?

Il commençait à se crisper. Ses doigts, et ses paupières, à se serrer. Il en aurait fait grincer ses dents. Et défoncer la vitre. Pour avoir de l'air.

Avoir de l'air. Respirer.

Il ne pensait plus qu'à ça.

Vite.

Il rouvrit les yeux, prestement. Le regard vers l'extérieur. Il se leva d'un seul geste, courut vers la fenêtre, se débattit avec la poignée, et enfin, huma, d'une grande inspiration, l'air extérieur.

Le bruit des avions non loin, il ne l'entendait pas. Il se concentrait sur le vent dans ses cheveux. Des bourrasques lui asséchaient les yeux, des gouttes d'eau s'écrasaient sur son visage ; c'était cela qu'il avait besoin de sentir, de ressentir. Son cœur apaisait sa colère, petit à petit, avoir le nez dehors était la seule chose à laquelle il s'intéressait.

Mêlées à l'eau douce, des larmes salées grossirent. La panique était terminée. La pression se relâchait doucement, tout doucement... Et il pleura. D'abord silencieusement, les yeux à peine fermés. Puis à chaudes larmes, en gémissant. Et il se recroquevilla, contre le mur, sous la fenêtre, ses jambes repliées sur lui-même, les bras les entourant et la tête cachée.


Gérard, de la salle de bain, avait entrebâillé la porte, le visage encore mouillé de sa toilette, alerté par les bruits. Il avait observé Peter paniquer et se jeter à la fenêtre, impuissant.

Il n'avait pas su quoi faire, et s'il aurait dû faire quelque chose. Quand il comprit qu'il avait réussi à se calmer, il osa détourner les yeux et prendre une serviette pour s'essuyer le visage. Il revint rapidement dans la chambre.

Il s'approcha en silence de l'adolescent, et posa une main sur son épaule, pour lui montrer son soutien. Le garçon releva la tête mais ce fut un regard noir qui fixait le médecin. Ce dernier, inquiet, retira sa main. Il s'apprêtait à s'écarter et le laisser, mais, sans un mot, le visage retourna s'enfouir entre ses bras. Le médecin décida alors de s'asseoir à côté de lui. Lui dire sans une parole qu'il était là s'il avait besoin, et qu'il ne le laissait pas seul face à ses sentiments.

Il se prit à l'observer. Il avait l'air si fragile, si effrayé. Il cherchait maladroitement à être indépendant et fort. C'était l'image qu'il voulait renvoyer. Mais comment l'être quand on était seul, qu'on portait un secret trop lourd pour ses épaules, et que la personne qu'on aimait était entre les mains d'hommes encore plus fous ? Agir sur des coups de tête ne servait pas non plus sa cause...

Il se débattait avec ses démons, et le médecin n'en était pas passé à côté. Incorrigible, même après la scène d'horreur, il avait accepté de continuer à l'aider. A une condition : se faire suivre par un professionnel ; même si pour un temps, c'était via internet.

Il avait des retours des séances. Peter ne parlait pas beaucoup, voire pas du tout. Mais le psychiatre ne se démontait pas, et il lui parlait, quitte à faire un monologue, pour faire comprendre à l'enfant le but de leurs entretiens et lui prodiguer des conseils pour ses "crises de panique", comme les lui avait nommées Gérard. Le spécialiste avait fait part à ce dernier de ses hypothèses, mais il était difficile de se concentrer vraiment étant donné les circonstances des séances.

En effet, les lieux toujours changeants de leurs rendez-vous n'étaient pas pour aider, ni le praticien, ni le jeune homme. Le voir dans un lieu plus neutre, en pleine intimité rendrait les dialogues plus naturels.

Gérard s'était véritablement attaché à cet enfant malgré toutes ses actions maladroites. La dernière fois qu'il l'avait pris dans ses bras lui avait retourné le coeur, et il s'était encore une fois laissé porter par sa bonté, et s'était promis qu'il l'accompagnerait le plus loin possible.

Il avait cerné le caractère, et il redoutait de le voir s'enfuir sans un mot ni un merci dès l'instant où ils retrouveraient Clément et qu'ils seraient en sécurité. Il en serait profondément blessé.


Anton, lui, était assis sur son lit, près de sa valise défaite. De l'autre côté du mur, il avait entendu les pas précipités de Peter vers la fenêtre, les coups d'impatience contre la poignée, et pourtant, il n'avait pas bougé.

Il tenait une photo dans ses mains. Une photo de lui et de sa femme. Les larmes glissaient sur le papier brillant légèrement écorné.

Il avait peur. Il était parti de chez lui sans expliquer ce qu'il partait faire, ni avec qui. Le dernier regard de sa bien-aimée lui avait paru interrogatif, froid et défiant. Il s'en voulait. Lui qui ne comptait pas la trahir... Et il s'inquiétait de ne pas la revoir du tout.

Le film des trois dernières semaines repassait sans arrêt dans son esprit. Surtout la nuit. Cela faisait trop de jours qu'il ne dormait presque plus. Il était si fatigué que les scénariis s'assombrissaient toujours plus, et les erreurs qu'il commettait étaient plus nombreuses. Plus le temps passait, plus il croyait plonger et creuser plus profond dans les abysses.

Au mieux, il s'imaginait jugé et condamné, au pire, torturé puis assassiné par des hommes avec lesquels il n'avait aucun lien.

Il renifla et leva la tête vers la porte qui menait à la chambre de Gérard et de Peter. Puis il sécha ses larmes. Se laisser gagner par la panique à présent équivalait à favoriser la pire des fins. Il avait besoin de discuter de la direction qu'ils prendraient.

Il attendit un instant que son visage ait évacué toute trace de tristesse puis franchit la porte communicante.

Parce que je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant