Chapitre 13

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Et l'odeur des repas montait dans la rue, lui chatouillant les narines, faisant gronder son ventre. Il sentait ses jambes faibles ; elles ne le portaient déjà pas très longtemps au cours de la journée...

Il s'était arrêté devant une boulangerie, qui exhalait une odeur qu'il trouvait enchanteresse. Elle lui faisait tant envie. Il n'imaginait qu'une chose. Il imaginait la dévaliser.

A l'intérieur, les baguettes et les pains étaient tout juste cuits, ils semblaient bien chauds. Les sandwichs venaient d'être préparés, sous ses yeux envieux ; le pain bavait du saumon ou des morceaux de poulet, la salade et les rondelles de tomates cherchaient à s'enfuir de leur prison. De l'autre côté de la vitrine, leur faisant face, les desserts. Des brownies de toutes les tailles, des tartes aux fruits bien caramélisés, des macarons de toutes les couleurs. Et il y avait évidemment, tous les classiques, des religieuses à tous les goûts, des éclairs, en passant par les cookies, les chouquettes entre autres !

Toutes ces pâtisseries dansaient devant ses yeux, elles dégoulinaient, elles devenaient multicolores, elles le narguaient, lui tiraient la langue. Il voulait tout dévorer, se remplir l'estomac, pour enfin être rassasié.

Il allait faire un pas vers l'intérieur, en pleine rêverie quand il entendit quelqu'un s'impatienter derrière lui.

"Tu entends ce qu'on te dit ? Tu gênes le passage, jeune homme."

Il se retourna, surpris, et s'écarta sans réfléchir, puis fronça les sourcils en dévisageant la personne agacée qui l'avait interpellé.

Plusieurs personnes passèrent devant lui. Il entendit une remarque désobligeante à son sujet et une réflexion attristée. Il envoya un regard noir à ces gens mais voyant que la femme qui l'avait pris en pitié comptait lui acheter quelque chose, il s'enfuit.

Il parvint seulement à tourner dans quelques rues avant de s'arrêter, épuisé.

Il s'assit sur le bord du trottoir, la tête dans les mains. Il soupira. Deux jours, presque trois, qu'il errait sans but dans les rues. Et rien n'avançait. Il s'affamait pour rien. il ne savait même plus pourquoi il avait décidé de partir de chez le médecin. Il vivait dans le stress de se faire prendre dans la rue, de se faire enfermer une nouvelle fois. Ainsi, il serait encore plus inutile. Rien n'avait changé au cours de ces sept semaines... Il se sentait traqué, il était obligé de fuir.

Il le voyait bien, être dans la rue ne lui servait à rien. Il ne pouvait pas le retrouver ainsi, il n'avait aucune autre piste à suivre. La seule solution, qu'il avait déjà abandonnée, aurait été de retourner chez le dénommé Tripaud, mais il savait que c'était trop dangereux, parce qu'il se méfiait certainement à présent.

Et il espérait qu'il n'avait pas aggravé le cas de Clément...

Il serra ses doigts sur son front, ferma les paupières à s'en faire mal. En plus de cela, il était considéré comme un fou échappé de l'hôpital. Mais pourquoi cette excuse ! Elle lui faisait si mal...

Il resta dans cette position encore un instant, se maudissant pour tout ce qu'il avait fait jusqu'ici, toutes les erreurs qu'il avait commises.

Puis, il sembla avoir une illumination et se leva, déterminé.

**

"Alors ? Comme ça on change d'avis ?"

Peter n'était pas encore réveillé. Il avait cru entendre cette voix dans ses rêves. Une voix qu'il reconnaissait, mais à laquelle il n'arrivait pas à coller de visage. Le bruit qui suivit lui fit comprendre que cela ne se passait pas dans son rêve. Il émergea doucement, et marmonna de manière assez inintelligible quelque chose pour demander ce qu'on lui voulait. Et il ouvrit un oeil, puis le deuxième, puis il se retourna et distingua la silhouette qui était accroupie près de lui.

"Gérard...?"

Il s'essuya les yeux et fronça les sourcils, le dévisageant comme si c'était la première fois qu'il le voyait. Le médecin hocha la tête pour confirmer son identité et continua :

"Alors ? Tu m'as envoyé cette lettre uniquement pour t'amuser ou on peut en discuter au chaud ?"

L'adolescent s'assit, toujours mal réveillé. Des points noirs virevoltaient sur le paysage qu'il voyait.

Et enfin il sembla comprendre, il écarquilla les yeux et secoua la tête.

"Ah, oui la lettre ! Non, non, je veux bien en discuter !"

Gérard lui tendit la main pour l'aider à se lever, mais à peine debout, Peter sentit sa tête tourner si fort qu'il manqua s'évanouir. Le médecin le rattrapa et lui permit d'avoir un appui.

"Tu n'as pas mangé depuis combien de temps exactement...? s'enquit-il, inquiet"

L'adolescent, trouvant le sol vraiment très bas, secoua la tête, un peu perdu, semblant fouler le pavé d'un monde parallèle. Il fit un geste incompréhensible et lui répondit, toujours ailleurs :

"Peut-être... deux, ou quatre, jours."

Il s'arrêta soudainement de dire une parole ou de faire un geste de plus. Son corps pesait si lourd, le sol était si bas... Il s'écroula dans les bras du médecin qui leva les yeux au ciel. Ce dernier le prit dans ses bras, observa s'il n'avait rien avec lui, puis il partit.

Sur le chemin, il soupira plusieurs fois. On le regardait étrangement, on fronçait les sourcils en le fixant. Et l'enfant ne voulait pas revenir à lui. Il marmonnait dans sa barbe, un peu agacé, comme s'il pouvait l'entendre.

"Je ne te crois plus maintenant, c'est fini. Deux jours mon oeil oui ! Ca fait bien trois, voire quatre jours que tu n'as presque rien mis dans ta bouche, à courir partout en plus de cela ! Et qu'est-ce que c'est que cette histoire que tu m'as racontée ? c'est bien pire que ce que je pensais...! Tu as intérêt à te réveiller rapidement. Il ne manquerait plus que ce soit ta dernière once de vie..."

Il s'interrompit en voyant que plusieurs personnes le dévisageaient en semblant lui indiquer que celui à qui il parlait ne lui répondrait pas.

Il se renferma, boudeur, mais ne put s'empêcher d'ajouter :

"Il va encore falloir que je prenne du matériel à l'hôpital...."

On le regarda à nouveau, et il fixa intensément celui qui l'observait au point de l'intimider et de lui faire changer de trottoir.

Il rentra chez lui sans plus un mot, et déposa délicatement son protégé sur le canapé.

Parce que je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant