Chapitre 6

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Tout passa très vite par la suite. Il n'avait pas pris le temps de se reposer une seconde, il voyageait entre les communes et les départements avec l'argent qu'il avait emprunté chez son hôte en prévision de ces escapades.

Il avait rendu visite à toutes les entreprises qu'il avait trouvées pour leur montrer le bouton et peut-être en savoir un peu plus sur l'acheteur. Les deux entreprises textiles n'avaient rien donné ; elles ne fabriquent pas ce genre de bouton. Il fallait chercher ailleurs !

Il passa alors chez deux tailleurs indépendants qu'il avait repérés, et qui semblaient faire le style de vêtements qui allaient avec le bouton qu'il possédait.

Le premier commerçant était un homme très occupé, qui gérait une boutique avec quatre employés et qui l'avait renvoyé froidement, n'ayant pas de temps à perdre avec un enfant, selon ses mots. Il était parti après avoir inspecté les boutons des vêtements et s'être assuré qu'ils n'étaient pas les mêmes que celui qu'il possédait.

Sa dernière visite fut la bonne. Cette fois-ci, le gérant était très aimable, et lui indiqua qu'effectivement, le bouton venait de chez lui. Il avait glissé une lettre parmi tous les entrelacs, ce qui le rendait si sûr de ce qu'il disait.

"C'est vrai ? Il vient vraiment de chez vous ? demanda le garçon, les yeux brillants d'espoir.

-Tout à fait ! Mais pourquoi veux-tu savoir cela, jeune homme ?

-Il vient d'un manteau en feutre bleu foncé avec des boutons couleur or ; vous en avez vendu récemment, ou c'est une vieille collection ? S'emporta-t-il, un peu excité d'arriver enfin à quelque chose."

Le commerçant ne répondit pas, et le fixa d'un regard étrange et étonné. Il réitéra plutôt sa question.

L'adolescent n'avait pas réfléchi à cela. Il mit un instant avant de répondre.

"En fait, je cherche un ami. On s'est perdu de vue il y a plusieurs années mais je tiens à lui reparler. La dernière fois que je l'ai vu, c'était il y a un mois, il avait ce manteau, et ce bouton, dit-il en désignant l'objet qu'il avait dans la main, est tombé. Et sur le moment, rajouta-t-il rapidement après, je n'ai pas osé lui courir après, et je me retrouve embêté... J'aimerais vraiment pouvoir le revoir et lui rendre son bouton."

Il fit, pour conclure son discours, le plus beau de ses sourires niais et innocent, et croisa les doigts pour que ça passe. Son interlocuteur plissa les yeux, semblant pensif face à tout ce que l'adolescent venait de lui raconter.

"S'il vous plaît... vous êtes ma seule chance de le revoir, et de retrouver son nom."

L'homme eut un petit grognement d'hésitation, le dévisagea, promena ses yeux de haut en bas sur l'enfant, soupira puis tendit la main vers le bouton.

"Sur un manteau en feutre, tu dis...

-Bleu foncé oui, dit-il, plein d'espoir, et heureux que ça ait fonctionné.

-Montre-moi le bouton s'il te plaît."

Il lui donna l'objet et l'observa l'examiner avec attention.

"Alors... celui-là est plutôt récent.. laisse-moi voir exactement."

Le vendeur disparut dans l'arrière-boutique et en rapporta un gros cahier. Il s'adressa à son interlocuteur en l'invitant à venir derrière le comptoir. Il tourna plusieurs pages sur lesquelles étaient dessinées des croquis de logo, d'entrelacs presque tous identiques.

"Je dessine tous les trois mois environ un dessin différent pour décorer les vêtements ou les boutons. Grâce à ça, je pourrais te dire exactement quand est-ce que je l'ai fait. Tu as de la chance que je fasse ça, s'exclama-t-il en lui faisant un clin d'oeil, tu pourras peut-être retrouver ton ami. Et, il ne faudra plus qu'espérer qu'il l'aura acheté dans le même trimestre. Bon, en général, il ne m'en reste que quelques-uns à la fin, et je donne la plupart de mes invendus à des associations pour vêtir les pauvres gens dans la rue."

Le jeune homme parut surpris de sa dernière phrase, releva la tête sur lui, et finalement sourit avant de se pencher, comme le vendeur, sur le cahier. Il décelait toujours une différence entre les dessins sur le bouton et les croquis puisqu'il tournait les pages sans s'arrêter et en secouant la tête. Tout à coup, il finit par pointer une page.

"Ah, voilà ! C'est celui-là ! dit-il en levant les yeux sur le haut de la page pour voir la date. En fait, il a déjà un an ce bouton. Que le temps passe vite ! Je l'ai fait pour la collection d'hiver. Alors, alors..."

Sans plus vraiment prêter attention à son interlocuteur, il repartit dans l'arrière-boutique pour rapporter un autre cahier, qui contenait, celui-là, des tableaux bien remplis à chaque page.

"Tu m'as dit un manteau en feutre bleu foncé, c'est ça ? demanda-t-il cette fois à l'adolescent qui hocha la tête pour toute réponse. Ceux-là, j'en avais fait deux si je me souviens bien... Oui, voilà, un ici... et l'autre... ah ! L'autre je l'ai donné."

Le jeune homme, qui regardait par-dessus l'épaule du commerçant, avait pu distinguer le nom qui y était inscrit. Mais, l'homme, un peu embêté, releva le cahier pour ne pas qu'il ait accès aux informations. Puis, il le regarda.

"Hum... Que comptes-tu faire avec le nom que je te donnerai ? Si je te le donne...

-Vous n'avez pas une adresse ? demanda-t-il avec un air très naïf. Comme ça je pourrai aller directement le voir et lui rendre le bouton pour lui parler."

Il ponctua par un grand sourire et attendit un miracle pour que cette excuse fonctionne. Mais le commerçant secoua la tête.

"Tu sais, ça ne marche pas comme ça. S'il m'avait donné son adresse, il compte sur moi pour que je la garde secrète. Et comment peux-tu être sûr que c'est le manteau que j'ai vendu qui appartient à ton ami, et non pas celui que j'ai donné ?

-Je sais qu'il ne vit pas à la rue ! C'est sûr que c'est lui."

Du moins, il espérait...

Le commerçant commençait à lui parler comme un adulte à un jeune enfant qui ne connaît pas la vie. Le jeune homme savait que c'était lui qui avait joué là-dessus et qu'il devait en assumer les conséquences, mais il ne put s'y résoudre. Il rougit d'agacement, mais ne dit rien.

"Bon... dit le commerçant après un instant. Puisque tu m'as dit que c'était le seul moyen... Je veux bien te donner seulement son nom. Promets-moi de ne pas l'utiliser pour... pour faire des choses malveillantes.

-Oui, promis !"

Il repartit alors avec le nom d'Alexandre Tripaud, et un grand espoir, après avoir salué gentiment le tailleur de lui avoir donné l'information.

Il n'espérait pas qu'il aurait pu avoir ce nom aussi facilement, mais ça lui ferait gagner beaucoup de temps ! Et il en avait déjà assez pris pour qu'il en perde encore. Il accéléra le pas, pressé. Il retournerait à l'hôtel, emprunterait un annuaire ou juste internet, pour pouvoir peut-être retrouver d'autres traces de celui qu'il cherchait.

L'adrénaline était montée si haut en sachant qu'il avait eu ce nom qu'il en avait oublié sa blessure au milieu du ventre. Ce fut quand la douleur, violente et perforante, se manifesta qu'il s'en souvint, mais il était un peu tard. Ses jambes perdirent toutes forces et il dut se mettre à genoux pour ne pas s'évanouir. Ses oreilles se mirent à bourdonner et sa vue se troubla, si bien qu'il s'asseya quelques minutes sur le trottoir, dos au mur, pour tenter de recouvrer tous ses sens.

Il posa sa main sur son ventre, épuisé. A travers le flou de ses yeux, il vit qu'on le remarquait, on le regardait, un peu inquiet, un peu étonné. Il serra les dents. Il fallait qu'il se relève s'il ne voulait pas qu'on veuille encore le soigner et le clouer dans un lit. Alors il rassembla toutes ses forces, se releva d'un bond et détala.

Parce que je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant