Chapitre 34

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Anton, après quelques mois, à cause de l'affaire qui prenait trop d'ampleur, avait été gentiment renvoyé de son collège à chez lui.

Il fallait dire que les rumeurs allaient bon train depuis que les journaux de la petite commune avaient relayé l'information. Ce professeur d'informatique du collège Pierre de Ronsard attendait son jugement au tribunal correctionnel pour un cambriolage avec effraction commis dans le nord de la France, avec deux complices dont un enfant de dix-huit ans à peine.

Immédiatement, les langues s'étaient échauffées. Rapidement, son travail de professeur avait été presque impossible à mener. Ses élèves chuchotaient sans arrêt pendant son cours, ne l'écoutaient plus, et ne le respectaient plus ; si tant est qu'une bande d'adolescents en pleine crise respecte ses professeurs. En temps normal, il aurait tapé du poing sur la table, puni les plus insolents et aurait fait revenir le calme. Mais, ils n'étaient pas en temps normal. Il était fatigué et stressé par la situation, il s'inquiétait pour Gérard qu'il savait encore proche de l'enfant. Alors il n'avait plus le coeur à travailler consciencieusement, à corriger des devoirs, à en préparer les exercices et il n'avait pas la force de répondre aux fausses rumeurs de tout l'établissement ni aux bavardages de ses classes. Mais il fallait faire bonne figure, et il ne montrait pas son découragement à ses élèves ni à ses collègues.

Sa femme, qui avait appris la plupart des détails de l'histoire dès qu'il avait pu la joindre, comme il le désirait, l'aidait à surmonter cette épreuve. Les seuls instants de répit qu'il passait en cette période étaient ceux qu'il passait à discuter avec elle, dans ses bras. Il lui parlait de sa journée, de ses doutes, et du sentiment d'oppression qu'il ressentait au collège. Elle ne le jugeait pas, elle ne lui demandait pas d'explications, elle lui faisait confiance. Elle le rassurait, elle l'écoutait et lui redonnait un peu de courage pour retourner travailler le lendemain. Il s'excusait sans arrêt mais elle n'était pas en colère contre lui. Elle l'aimait toujours, elle lui apportait beaucoup et il en était terriblement touché.

Alors, au moment où il se sentit prêt, où il se sentit d'aplomb pour affronter réellement le regard des autres, il était trop tard pour tout expliquer, pour nier ce que les journaux avaient créé. Toutes les croyances fondées sur ces on-dits étaient trop ancrées dans les esprits pour qu'ils s'encombrent d'une autre version.

Ce fut à ce moment-là que le directeur, avec l'accord du rectorat, avait décidé de lui donner des vacances forcées. La situation était devenue si intenable lorsqu'il était dans l'établissement que le cursus scolaire des enfants en était perturbé. La vie d'un professeur ne devait pas bouleverser tout un établissement.

Peiné, il était rentré bredouille chez lui. Il avait d'abord tourné en rond toute la journée avant de s'asseoir devant son ordinateur et de commencer à taper.

Ce moment d'isolement l'avait fait affronter de plus près encore les angoisses nées de cette histoire, et il avait dû apprendre à vivre avec. Mais pour s'en séparer, il avait décidé d'écrire un livre. Interrompue par le jugement qui l'avait condamné à rester chez lui deux ans de plus, l'écriture lui avait permis d'occuper ses journées. Intitulé "J'ai vu...", son récit était autobiographique. Il y racontait sa rencontre avec un gamin nommé X qui lui avait dit et prouvé qu'il était capable de rescussiter, ou incapable de mourir, il ne savait pas bien. Il y ajoutait la raison pour laquelle il ne savait rien de cet enfant, la peur qui l'avait empêchée de poser des questions plus-avant, de défricher ce mystère. Au fond, il n'avait voulu qu'une seule chose à l'instant où il l'avait vu : le voir quitter sa vie et celle de son ami.

On n'aurait pas juré, en le voyant, qu'il était protecteur, mais quand il tenait à quelqu'un, il était capable de tout. Et c'était bien ce qui avait eu lieu. Lui qui connaissait Gérard depuis quelques années l'avait toujours vu calme, en contrôle de toutes situations. Il savait qu'il était capable de gérer des situations d'urgence et de stress énormes, alors quand il avait entendu sa voix cassée et senti ses larmes couler, il avait immédiatement compris que ce n'était pas anodin. C'était un homme qui ne faisait de mal à personne, il se démenait pour sauver des vies, chaque jour et chaque nuit. Il consacrait sa vie entière à son travail. Il était passionné et plein de bonnes intentions. Il ne méritait pas que la vie lui crache dessus. Encore moins à l'aide d'un enfant terreur.

Malheureusement, la gentillesse du médecin lui faisait encore défaut.

Il avait raconté tout cela dans son livre, il n'avait indiqué aucun lieu précis, donné aucun nom, mais il avait dit toute la vérité. Et il avait beaucoup parlé de lui, de sa descente dans ce trou noir de solitude, d'angoisse et d'incompréhension qui lui semblait infini. Sans ambages. C'était une manière de hurler au monde ce qu'il aurait voulu dire, de nier les faits et le caractère que lui prêtaient ses élèves, d'expier ce qui lui rongeait vraiment le coeur.

Parce qu'il n'avait pas tout dit à sa femme, à ses proches ou à la police. Il gardait une donnée secrète. Et pourtant, il avait rêvé de dire "Tu sais pas ce qui m'est arrivé !...", mais sa raison lui dictait que le gamin n'avait pas tort de ne pas vouloir ébruiter son don. S'il disait quoi que ce soit, il n'y aurait pas que Peter que l'on prendrait pour un fou...

A présent, ils étaient trois coincés dans un secret inavouable. Sa propre femme ne l'aurait pas cru, et il devait avouer que lui-même, s'il ne l'avait pas vue de ses propres yeux, il n'aurait jamais accepté cette idée.

Il était mêlé à une histoire qu'il ne voulait pas, avec laquelle il n'avait rien à voir, et il s'était mis dans le même pétrin que cet enfant qu'il détestait. Il aurait voulu effacer tous ces souvenirs de sa mémoire et ne plus jamais en entendre parler. Parfois il y songeait, et la manière la plus efficace aurait été de cesser tout contact avec Gérard. Il n'était pas sûr de vouloir sauter le pas...

Il parlait aussi de ses rêves, de ses cauchemars. La nuit, il était prisonnier d'une pièce immaculée dans laquelle un scientifique fou, à la carrure et au visage de Paul Tripaud, torturait un enfant innocent. Des images qu'il n'aurait jamais pu supporter en temps normal. Il aurait fui ou se serait battu. Mais chaque fois, il était paralysé, il était forcé à regarder la scène sans pouvoir agir ou même fermer les yeux ou devenir sourd. Et chaque fois, le faux médecin allait plus loin, et les cris suraigus de l'enfant le réveillaient en sursaut et en sueur.

Il ne remercierait jamais assez sa femme de rester auprès de lui, d'être aussi patiente alors même qu'elle ne comprenait pas tout. Elle non plus ne dormait plus, éveillée par ses insomnies. Il l'inquiétait.

C'était l'image d'un enfant au visage flou qui le torturait la nuit. Il le voyait mourir. L'enfer était d'une autre couleur pour lui sûrement. Trois ans et demi à se faire torturer, sans aide et sans espoir, c'était long.

Grandissait dans son coeur un dégoût contre toutes les contradictions qu'il ressentait. De temps en temps, il se demandait s'il reprendrait les recherches dès qu'il serait libre...

Parce que je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant