Impensable !

Chapitre 10

Avec Hélène, nous sommes comme un couple de petits vieux. Nous avons nos petites habitudes. Et malheur à celui qui oserait se permettre de perturber l'un de nos rituels !

Quand nous devons nous expliquer, nous allons systématiquement dans un parc situé à dix minutes à pied du collège. Ce midi ne fait donc pas exception à la règle. Lunettes de soleil sur le nez, nous marchons d'un pas tellement décidé que nous arrivons à destination encore plus vite qu'habituellement. Mon mutisme n'y est pas étranger, je ne réponds aux propos de mon amie que par monosyllabe. J'ai clairement la tête à l'envers, mon esprit étant pris dans un tourbillon de questionnements sans fin.

Lorsque nous passons les portes du parc, je me sens déjà un peu mieux. Cet endroit est un vrai havre de paix pour moi. J'en connais chaque recoin par cœur : du nom des fleurs qui ornent les allées au nombre de poules dans leur enclos. Il faut dire que Mamita, ma grand-mère, m'y emmenait souvent lorsque j'étais enfant. C'était déjà mon parc préféré à l'époque. J'adorais en particulier y venir avec Alicia, ma petit sœur. Elle avait toujours plein de questions auxquelles je prenais un réel plaisir à répondre. Mon côté prof qui devait déjà s'exprimer, j'imagine. Du coup, j'essayais d'anticiper tout ce sur quoi elle pourrait m'interroger. L'étincelle dans son regard quand elle voyait que j'avais réponse à tout me rendait folle de joie. Elle m'admirait et ça me rendait si fière ! Ça n'a malheureusement pas duré longtemps... J'aurais tellement voulu qu'on reste aussi proches que nous l'étions enfants ! Au lieu de ça, je suis passée du statut de grande sœur adorée à rabat-joie de service ! Je ne saurais même pas dire pourquoi ou à quel moment tout est parti en vrille entre nous.

Avec Hélène, nous avons NOTRE banc et évidemment, c'est le mieux placé. Au soleil mais pas trop, en face du petit plan d'eau sur lequel quelques canards viennent toujours se poser, près d'un magnifique rosier qui embaume vraiment l'atmosphère... L'endroit idéal ! Mais nous ne sommes évidemment pas les seules à avoir repéré le potentiel de cet endroit et il faut souvent batailler pour le récupérer. Enfin, Hélène bataille et moi je pouffe comme une adolescente à côté en la regardant faire ! Parce que oui, Hélène a de l'imagination. Beaucoup d'imagination. Et je crois que si je filmais ces petits moments complètement décalés, je pourrais facilement ouvrir une chaîne youtube pour les diffuser. Je ferais un carton !

Aujourd'hui, ce sont deux petites mamies qui sont postées sur notre banc. Elles discutent l'air de rien, inconscientes de ce qui va leur tomber dessus d'ici 30 secondes. Je regarde Hélène, occupée à farfouiller dans son sac. Le spectacle va bientôt commencer ! Elle sort son téléphone et commence à parler d'une voix forte en faisant les cents pas entre le plan d'eau et le banc. Elle parle à son sex-friends, enfin elle fait semblant en tout cas. Je grimacerais presque si je ne savais pas qu'elle raconte n'importe quoi.

- Je te dis que la place est occupée. Je ne peux pas aller chercher sous le banc. Je n'ai pas froid aux yeux mais quand même, je ne suis pas impolie pour autant, tu exagères. Et puis quelqu'un a bien dû venir nettoyer, tu sais ! Si une capote traînait autour de banc, ça se serait vu ! Arrête tout de suite, je refuse d'ingérer ces pilules du lendemain sans être sûre que la capote était bien percée, t'avais qu'à pas paniquer quand le gardien est passé faire le tour du parc aussi, c'est toi la flippette dans l'histoire !

Les petites mamies ont stoppé à leur conversation et commencent à regarder autour d'elle d'un air de dégoût. Mission presqu'accomplie !

- Quoi ? Pas du tout ! C'est toi qui examinera ta capote, faut pas déconner. Monsieur éjacule partout parce qu'il entend du bruit pendant son orgasme et ce serait à moi de me taper le sale boulot ? Si je la trouve, je la glisse dans un kleenex et je te la ramène ce soir. Ah ouais ? Tu préfères prendre le risque d'être papa dans 9 mois ? C'est toi qui m'a mis le doute je te ferai dire alors arrête de me mettre ça sur le dos maintenant !