Chapitre 23

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Mon cerveau est paralysé. Ou peut être cassé. Ce qui est sûr c'est que je suis probablement en train de me transformer en zombie. J'avance sans savoir où. J'émets des sons sans savoir ce que je dis. La nourriture n'a plus aucune saveur. Je ne ressens plus la faim, la soif, la fatigue.

J'essaie d'appuyer sur pause mais la vie ne fonctionne pas comme ça. C'est soit on vit soit on meurt. Pas d'entre-deux possible.

Après l'annonce de la pire nouvelle qui soit, je suis passée faire un bisou à Mamina. Elle me souriait mais son regard était triste, si profondément triste. J'ai essayé de ne pas pleurer face à elle et j'y suis parvenue. Mes larmes sont restées bloquées derrière mes paupières. Je leur ai interdit de dévaler mes joues devant ma grand-mère. Elles ont obéi. Pour mieux m'attaquer dès que je suis sortie de l'établissement.

Je ne savais pas que notre corps avait autant de larmes en stock. c'est assez impressionnant quand on y pense. Je ne me pensais pas capable d'émettre de si gros sanglots non plus. C'était comme si les sons qui sortaient de ma gorge provenaient directement de mes tripes. J'avais l'impression que tous mes organes étaient en ébullition, qu'ils essayaient de prendre la fuite. Est-ce qu'ils ont compris que ça devenait dangereux de rester dans mon corps au vu de la détresse qui se coulait à flot dans mes veines ? Ou est-ce que chaque parcelle de mon corps est aussi attachée à ma Mamina que le sont mon cœur et mon âme ?

Je n'ai plus qu'un vague souvenir de ce qu'il s'est passé ensuite.

Je suis rentrée. Clément m'a demandé pourquoi je rentrais si tard. Je lui ai expliqué, tant bien que mal au vu de mon état léthargique. Je me souviens que ses épaules se sont voûtées l'espace de quelques secondes. Il m'a prise rapidement dans ses bras en me disant que ça allait s'arranger. Et puis il a rappelé que c'était l'heure d'aller à table. Sauf que mon appétit s'était déjà fait la malle. Alors j'ai été prendre une douche et je me suis posée dans mon lit. J'ai regardé le plafond et j'ai attendu. Que le sommeil vienne, que l'inquiétude se calme. Non, en fait, j'espérais juste que j'allais me réveiller de ce cauchemar.

Ce n'est pas arrivé. Je ne me suis pas réveillée, je ne me suis pas endormie non plus et l'inquiétude n'a fait que grossir dans mon ventre. Elle remplit l'espace libéré par l'absence de nourriture.

Les pieds ancrés devant le collège, ce matin, je réalise que le zombie que je suis va devoir faire illusion. Mon esprit va devoir s'agiter un peu pour se souvenir de ce que j'avais prévu. Heureusement, j'établis des plans de cours, précis. Je n'aurais qu'à suivre mes propres directives. Dans la cour au loin, j'aperçois la silhouette d'Hélène. Le mercredi, elle a cours à 8h30 c'est vrai. J'ai envie de lui courir après, juste pour qu'elle me serre dans ses bras et me sorte une de ces tirades sans queue ni tête.

Mes pas me portent vers la salle des profs. Je souffle de soulagement lorsque je constate qu'elle est vide. Pas besoin de sortir mes sourires de façade, pas tout de suite en tout cas.

Une fois mes affaires posées, je prends ma tasse par automatisme. Au moment d'appuyer sur le bouton pour que ma boisson préférée se déverse, j'ai un mouvement de recul. Je n'en ai même pas envie.

- Tu es malade pour ne pas te jeter illico sur ta dose de caféine ?

Merde, je ne suis plus seule. La voix d'Arthur a résonné dans la salle, chantante, douce. Je repense aux propos de Mamina. "Le beau brun aux yeux doux".

Une main chaude se pose sur mon épaule. Je devrais sursauter mais mon corps est toujours en veille.

- Amandine, ça va ?

Je risque un œil dans sa direction. Il est bien là son regard doux à la teinte chocolatée. L'espace d'un instant, je m'y perds. Sa présence est apaisante. Est-ce que des prunelles peuvent avoir des vertus à l'instar des huiles essentielles ? Les pharmaciens pourraient recommander "5 minutes du regard d'Arthur par jour en cas de stress. Si ça perdure, passer à 10 minutes".

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