Chapitre 22

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Dès l'entrée, l'odeur légèrement aseptisée de l'Ehpad de Mamina me saisit. Ce n'est pas fort mais mon odorat un peu trop développé le perçoit. Ça ne sent pas mauvais, c'est juste la manifestation qu'avec tous ces produits ménagers on essaie de cacher d'autres fragrances. De celles qui prouvent qu'en vieillissant, les choses ne vont pas dans le bon sens.

Je ne me plains pas. Mamina a encore toute sa tête, elle est valide et globalement autonome. Mais tout peut déraper, de façon immédiate ou dans le temps. Je ne sais pas ce qui est le pire au final. Et je ne veux pas penser que ça peut arriver à ma grand-mère adorée.

Je veux qu'elle vive éternellement. Et reste en bonne santé.

Le personnel de la maison de retraite est très sympathique. Ils essaient de mettre autant de vie qu'ils le peuvent dans ses longs couloirs insipides où le blanc des murs a laissé place à un jaune décrépi. Ils organisent pléthore d'activités, arborent de grands sourires, taquinent les résidents. Tout est bon pour faire oublier que régulièrement certains les abandonnent en cours de route pour rejoindre un monde que l'on espère meilleur.

Ma grand-mère a déjà perdu 5 de ces compagnons depuis qu'elle s'est installée dans l'établissement. Et encore, il ne s'agit que de ceux qu'elle côtoyait régulièrement. Derrière sa bonne humeur habituelle, elle essaie de faire comme si ces départs ne la touchaient pas tant que ça. "C'est que leur heure avait sonné" claironne-t-elle à chaque fois. Ponctué de cette sentence mortifère "Quand on arrive ici, on sait qu'on en repartira les pieds devant".

Je refuse de penser que ce constat pourtant logique s'applique à elle.

Mamina, c'est mon pilier. J'ai toujours pu m'appuyer sur elle, à chaque étape de mon existence. Elle a été cette constante rassurante dans ma vie en construction. J'ai toujours su qu'elle serait là pour moi, quoi qu'il arrive. Quand je vais mal, quand je fais de mauvais choix, je sais qu'elle sera toujours de mon côté. On attend en général ce soutien inconditionnel de la part de ses parents. Depuis que je suis petite, c'est Mamina qui a endossé ce rôle. Je m'estime chanceuse, d'autres n'ont personne du tout.

Lorsque j'arrive devant sa porte, j'observe d'abord sa photo qui me fait face. Chaque résident à sa frimousse affichée à l'entrée de leur chambre. Ma grand-mère n'y sourit pas à pleines dents mais elle arbore son petit sourire en coin et surtout, elle offre à l'objectif son regard malicieux. Celui qu'elle adresse quand elle raconte une bêtise ou quand elle discute avec un papy qu'elle trouve à son goût. Mamina est une petite maligne.

La main sur la poignée, je prends une grande inspiration avant d'entrer chez elle. Enfin dans sa chambre. Sa petite chambre. Je sais exactement ce qu'il va se passer dans les secondes à venir. Après avoir fermé les yeux pour m'imprégner de l'odeur si familière de ma grand-mère, je vais les rouvrir et avoir l'impression que les mètres carrés ont diminué depuis la semaine dernière. Un pincement au cœur va me saisir en réalisant une fois de plus l'endroit où elle vit. Ce petit espace empli de seulement quelques bibelots alors qu'elle avait tant d'affaires... Des livres à foison, sa grande machine à écrire, ses poupées en porcelaines qu'elle avait affublé de prénoms divers et variés, ses marquises, ses porte-bonheurs... Elle avait des étagères remplies. Et encore, je ne parle pas de tout son matériel de cuisine. Mon enfance a été bercée par l'odeur sucrée des gâteaux qu'elle me faisait chaque week-end. C'est un temps révolu. Elle ne me cuisinera plus rien.

J'essaie de lui préparer quelques douceurs quand je viens lui rendre visite mais je n'ai pas son talent et sur mon palais, jamais rien n'aura la même saveur que celle de mes souvenirs.

Mes yeux se posent enfin sur elle. Emmitouflée dans son châle vert, elle me regarde avec surprise. Moi ce qui me surprend c'est son teint pâle et ses traits tirés. J'ai l'impression qu'elle a pris 10 ans depuis la semaine dernière.

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