20 Décembre

369 33 9
                                    

Jasper bailla à s’en décrocher la mâchoire. Dernièrement il avait accumulé la fatigue, résultat de fastidieuses recherches pour sa thèse. A tout juste la vingtaine, le jeune homme se démarquait par son parcours hors normes. Depuis maintenant cinq ans il déployait son génie, jusque-là bridé, dans une université de renom. Comme un adolescent normal il avait quitté le lycée après avoir obtenu son bac à dix-sept ans. Durant toutes ces années il avait supporté le calvaire que lui avait imposé son père, celui de suivre un cursus « normal », comme il le disait si bien.

— Mon fils n’est pas un génie, et il ne le deviendra jamais. Je refuse qu’il soit comme ces intellos binoclards. Tous des tapettes. Non ! Il suivra une scolarité normale, et je n’accepterais pas qu’il saute une classe.

Voilà ce qu’il avait déclaré à l’assistante sociale, lorsque celle-ci l’avait convoqué pour lui faire part des résultats des tests de Q.I du jeune homme. Les capacités de Jasper l’avaient classé parmi les surdoués, lui permettant aisément d’intégrer immédiatement l’université. Pourtant son père n’avait rien voulu entendre

Avec amertume, Jasper se rappela l’avoir supplié, allant même jusqu’à demander à sa mère et à sa sœur de l’aider, sans résultat. Elles avaient eu trop peur de la réaction qu’aurait pu avoir l’homme. Jasper n’avait pas insisté, ne voulant pas provoquer de drame familial. Il s’était fait violence pour continuer à subir ses années lycée, sans broncher.

Ce n’est qu’une fois le précieux sésame en poche que le jeune homme avait pu commencer à vivre. Il se remémorait la tête furieuse de son père quand il lui avait annoncé qu’il déménageait à Paris, pour étudier à l’institut Pasteur. L’homme avait vociféré, crachant qu’il ne lui paierait aucune dépense. Cette déclaration fut un second coup de poing au creux de son ventre. Comment pouvait-on dire ça à la chair de son sang ? Était-il incapable de le soutenir ?

Sans même un remord, au dernier week-end d’août, il était monté dans le train, embrasser une nouvelle vie. Depuis cinq ans désormais il goûtait à la liberté parisienne, ne donnant que de rares nouvelles à sa famille. Il préférait se jeter corps et âme dans la science, plutôt que de se préoccuper d’une famille qui l’avait étouffé, et avec qui il nourrissait si peu de liens affectifs.

*

La rame du métro ralentit dans une secousse qui le projeta contre le sac à dos d’un étudiant. Jasper grimaça, se frottant le bras qui avait reçu l’impact. Il détestait les transports en commun, et leur odeur âcre de transpiration. Pourtant la vie parisienne ne lui laissait guère le choix. S’il voulait se déplacer, il devait accepter les inconvénients du métro.

Le wagon s’ébroua et les portes s’ouvrirent vomissant leur foule de voyageurs. Jasper se glissa rapidement entre les passants. A grandes enjambées, il rejoignit l’air libre mais non moins pollué. La marche le réveilla de l’état de somnolence dans lequel l’avait plongé le métro. Il se dirigea vers l’université.

Ses trois premières années à Paris s’étaient déroulées sans anicroches. Dès le premier jour à l’université son cerveau s’était emballé. Tant de possibilités d’apprentissage s’offraient à lui. Tant de matières, de cours à découvrir ! Le jeune homme n’avait pas hésité à s’inscrire à de nombreuses unités d’enseignements, jonglant entre les matières afin de remplir son emploi du temps. Il n’avait que faire du temps libre auquel il renonçait. La fac rimait avec liberté. Liberté pour son esprit d’être enfin nourri. Il ne laisserait pas passer une telle opportunité !

Jasper jonglait entre ses cours, et les heures passées à la BU, à parfaire son programme. A la fin du premier semestre, après explication auprès de la scolarité et du doyen, il avait obtenu un arrangement d’examen lui permettant de valider différentes années au cours d’un même semestre. Ainsi actuellement il possédait l’équivalence d’une licence en physique-chimie, un master de biologie, et il s’affairait à préparer sa thèse qui lui servirait pour son doctorat.

Dans les couloirs de la fac, il croisa de nombreux étudiants, qui se pressaient pour rentrer chez eux. Beaucoup discutaient à propos d’une certaine soirée. D’ailleurs le bureau des étudiants lui fourra un trac concernant cette dernière. Il ne prit même pas la peine de le lire. Il le froissa, et le balança à la poubelle. Les regroupements, le bruit, l’alcool, très peu pour lui, il préférait largement la compagnie des livres et des microscopes à celles des humains.

QUAND LA NUIT S'ABATTRA Où les histoires vivent. Découvrez maintenant