20 Décembre

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Jasper arriva avec soulagement à son immeuble. Une vieille bâtisse décrépie dans laquelle s’entassait par centaines des logements étudiants. A vrai dire, il se fichait totalement de l’allure repoussante de son appartement, trop heureux d’avoir un toit autre que la maison familiale. De plus le loyer était raisonnable pour la capitale, et rentrait parfaitement dans son salaire. Pour le peu de temps qu’il passait chez lui, cela remplissait amplement le rôle attendu pour qu’il ne désire pas déménager.

La fatigue commença à se faire sentir, et il avait hâte de pouvoir s’allonger. Il grimpa quatre à quatre les escaliers, ne faisant pas confiance à la minuscule cage d’ascenseur qui grinçait à chaque fois qu’elle était sollicitée. Pourtant, arrivé devant sa porte, il hésita. Le bâtiment était trop calme. On était jeudi soir, jour des soirées étudiantes par tradition, pourtant à cet instant pas un bruit, pas une lumière. Quelque chose clochait.

Ses mains se mirent à trembler, alors que son esprit trop fertile s’imaginait les pires scénarios. Son souffle se bloqua dans sa gorge quand il tourna les clés dans sa serrure. La porte s’ouvrit dans un grincement sinistre, augmentant le côté lugubre de cette soirée. Pressé d’en finir avec cette atmosphère pesante, il tendit la main effleurant l’interrupteur.

Et l’enclencha.

La lumière fusa.

Il s’immobilisa.

Au milieu de la pièce unique de son studio se dressait une silhouette. Quelqu’un se tenait face à lui. Chez lui. Alors qu’il n’avait rien à y faire. Il sursauta, alors que son cerveau lui criait le danger de la situation. Une décharge d’adrénaline lui parcourut les veines, motivant ses muscles à fonctionner. Il fit volteface pour rejoindre la porte qu’il venait juste de fermer, et courir dans la rue.

Hélas sa fuite fut mise en échec par une seconde personne qui s’était glissée entre sa sortie de secours et lui.

Bloqué.

Pris au piège.

Son cerveau se déconnecta, incapable de réfléchir à ce qu’il devait faire. Il demeura immobile, s’astreignant au calme. Il sentait sa respiration s’emballer alors que son cœur menaçait de s’arrêter. Ses yeux le piquèrent dangereusement. Pas de conclusions hâtives, il ne te veut surement pas de mal, se raisonna-t-il.

Il laissa échapper un rire nerveux. Oui bien sûr, deux types qui ne lui voulaient pas de mal se seraient introduits par effraction juste parce que sa sonnette ne marchait pas. Totalement logique !

Il se résolut à observer ceux qui l’emprisonnaient dans son propre domicile. L’homme proche de son canapé-lit campait sur ses deux pieds, et semblait prendre tout l’espace de son petit studio tellement sa carrure était massive. Tout de noir vêtu, seuls ses yeux aciers absorbaient la lumière. Il le cloua sur place à la seule force de son regard. Jasper déglutit, comprenant qu’il n’avait réellement aucune échappatoire. Le type derrière lui, également bâti comme une armoire à glace ne le laisserait jamais passer.

Quelque peu calmé, alors que personne ne bougeait, il chercha une seconde alternative de fuite. Atteindre la fenêtre ? Impossible. Monsieur regard d’acier le rattraperait bien avant. Et puis un saut de six étages n’était pas forcément conseillé s’il voulait s’en sortir en un seul morceau.

— Ne cherche pas d’issues. Il n’y en a aucune, déclara une voix forte.

Au moins ses soupçons étaient confirmés. Il ne pouvait s’échapper.

— Qui êtes-vous ?

Bon point pour lui, sa voix n’avait pas tremblé. Elle paraissait assurée, tout le contraire de ce qu’il était. Le géant ne s’y trompa pas.

— William. Je fais partie des forces secrètes du gouvernement. Notre mission est de t’emmener avec nous, dans un endroit que tu découvriras bien assez tôt, débita-t-il.

Sa voix ne montrait aucune émotion, parfaitement mécanique, l’homme obéissait aux ordres sans état d’âme. Jasper déglutit. Ce n’était pas bon pour lui, dans quoi allait-il encore être fourré ? Il ignorait ce qui se passait, mais si le gouvernement était impliqué, ce n’était jamais bon.

— Aucun mal ne te sera fait, si tu coopères.

Pour un peu, Jasper se serait cru dans ces séries policières où les ravisseurs disaient toujours ça à leurs victimes avant de les égorger. Dans l’immédiat il n’avait pas du tout envie d’en rire, ce qui lui arrivait était bel et bien réel. Bien trop.

— Pourquoi vous suivrais-je ? Je ne vois pas en quoi je vous serais utile, négocia-t-il.

— Ton rôle te sera dévoilé en temps voulu.

Plus de doute, il était en plein délire. Cette scène était trop irréaliste pour être vraie. Il détestait cette configuration. Être en position de faiblesse le mettait mal à l’aise. Cela lui rappelait de trop nombreuses confrontations avec son père. Il essuya discrètement ses mains moites, s’attendant au pire.

Habituellement c’était lui qui avait toutes les cartes en mains, après tout il possédait le savoir. L’arme la plus puissante. Mais là, il ne jouait pas dans la même cour que ces types. Que pouvait-il faire avec son petit mètre soixante-dix, contre des gars qui faisaient au moins, une tête de plus que lui, et vingt kilos de muscles supplémentaires ? Il n’aurait pas dû tant dédaigner les salles de sport.

Toujours tremblant, il se montra raisonnable. La fuite serait un échec, et rendrait la situation encore plus difficile. Mieux valait coopérer pour l’instant. Il se résigna, et les suivit gentiment. Peut-être qu’une occasion de fuir se présenterait par la suite. Il l’espérait sincèrement.

Les deux hommes l’encadrèrent et le conduisirent dans une voiture, sans qu’il ne puisse se rebiffer. Celui qui avait dit s’appeler William s’installa à ses côtés, tandis que l’autre prenait le volant. Jasper regarda sa cité s’éloigner avec une pointe de crainte. La reverrait-il un jour ? Ses mains se crispèrent sur son pantalon troué, alors que les doutes assaillaient son esprit. Que lui voulait-on ?

Il osa un regard vers William, assis à ses côtés. Au repos, il inspirait le calme et la puissance, et l’impression que rien ne lui échappait. A l’instant où vous croisiez son chemin, vous étiez pris au piège. Japser fut fasciné par ses cheveux. Leur couleur était difficilement reconnaissable. Ni blond, ni blanc, ils étaient plutôt argentés. Peu commun. Il les portait en cadogan ce qui faisait ressortir la dureté de ses traits. Rien à dire, cet homme était envoutant.

— Alors pourquoi suis-je ici ?

William retourna son attention vers lui. Sous son regard pénétrant, il se ratatina. Quelle vision donnait-il à l’homme ? Celle d’un jeune homme pathétique, sans doute un peu trop maigrichon, qui n’avait aucune confiance en lui. Jasper se mordilla la lèvre, se forçant à s’arrêter de triturer l’ourlet de son pull en laine. Il réajusta ses lunettes sur son nez, et ramena une mèche de ses cheveux caramel derrière son oreille. A ses connaissances, il ne possédait rien qui puisse intéresser le gouvernement, alors pourquoi ces hommes étaient-ils venus le chercher ?

— Plus tard, nous ne sommes pas encore à l’abri, dit-il d’un ton qui ne souffrait d’aucune contradiction.

Le jeune homme se renfrogna, et lui tourna le dos pour se concentrer sur le paysage nocturne. Il entendit distinctement le soupir que poussa l’homme, mais ne s’excusa pas. Si l’on ne voulait rien lui dire, il ne coopérerait pas.

QUAND LA NUIT S'ABATTRA Où les histoires vivent. Découvrez maintenant