QUAND LA NUIT S'ABATTRA

15 Juin

Frissonner, trembler, frissonner, trembler, voilà ce à quoi se résumait Jasper. Depuis la mort de sa sœur, son état empirait. Comme s’il avait lâché le combat, la maladie gagnait du terrain. Il ne cherchait plus à vivre. A quoi bon ? Il sentait la vie lui échapper, dans peu de temps, il rejoindrait sa sœur.

Pourtant, posé au coin de sa table de chevet, un petit carnet lui rappelait son devoir. La promesse qu’il avait faite à sa sœur. Il devait encore se concentrer. Il se força à continuer ses recherches. Il savait tenir le bon bout, la fin du tunnel approchait, et pourtant cela lui paraissait hors de portée.

Ses dents claquaient, des picotements traversaient son corps. Lara contrôlait ses constantes, mais malgré toutes ses directives, Jasper refusait de se reposer. Il aurait toute la mort pour ça. Lara avait peur que tant de surmenage ne le préserve pas assez et accélère son départ. Elle respectait tout de même sa volonté, même si elle désapprouvait fortement. Ces notes étaient tout ce à quoi pouvait se raccrocher le jeune homme. Il puisait dans ses réserves pour achever le travail qu’il avait commencé.

— Tu sais que tu précipites ta destruction.

Jasper releva à peine la tête. Il haussa les épaules.

— Qu’importe. Ma fin est inévitable alors autant qu’elle serve à quelque chose. Ce n’est pas en restant les bras croisés que ce sera le cas, dit-il fataliste.

Lara doutait qu’à sa place elle aurait affronté la mort avec tant de désinvolture. C’était comme s’il n’en avait rien à faire. La mort de Clarissa avait résolument changé le comportement de Jasper. Plus rien ne le retenait en ce bas monde. Peut-être qu’Evgeny et William auraient pu faire pencher la balance, mais ils restaient résolument absents. Jasper les apercevait de l’autre côté, mais ce n’était pas suffisant pour le motiver à lutter encore et encore. Lara ne pouvait que contempler la chute de cet ange. Son influence ne suffisait pas à convaincre Evgeny du bienfait de sa présence aux côtés de Jasper.

*

L’état du jeune homme prit un virage à quatre-vingt-dix degrés en cette nuit. Sa fièvre était repartie en flèche, alors que sa respiration devenait de plus en plus sifflante. A ses côtés, Lara se démenait A cet instant-là, la porte s’ouvrit et les deux occupants de l’infirmerie crurent rêver. Dans toute sa splendeur, Evgeny avançait à grands pas. Faisant fi du regard courroucé de Lara, il s’installa dans le lit de Jasper enlevant ses habits pour ne rester qu’en caleçon. Il fit subir le même sort au jeune homme.

— Je m’occupe de réguler sa température. Peux-tu nous laisser ? demanda-t-il impétueusement.

Lara doutait bien qu’il s’agissait d’un ordre même s’il l’avait formulé comme une question. Elle s’exécuta, trop contente de sa venue.

— Que fais-tu là ? questionna le jeune homme reprenant ses esprits.

— Ça ne se voit pas ? Je me charge de stabiliser ta température.

Jasper frissonna, mais ne se rebella pas. Le contact de cette peau si douce lui était trop bénéfique. Dans cette pièce, il était en manque de contact humain. Cela lui paraissait une éternité qu’il n’avait pas touché une peau autre qu’à travers une protection.

— Tu es fou ! releva-t-il.

— Heureux que tu ne le remarques que maintenant.

Malgré la situation, il y avait des choses qui ne changeaient pas.

— Tu vas tomber malade sans combinaison.

— Non, ton vaccin fonctionne.

— Tu ne peux en être certain.

— Si. Lara est en pleine forme.

— Normal elle est protégée. Et si c’était le cas je ne serais pas malade.

— Tu as dû être contaminé lors de ton excursion, et vu que tu as eu le vaccin après, il était déjà trop tard.

Son cerveau était trop troublé pour réfléchir à la plausibilité de l’hypothèse. Il n’avait pas envie de discuter sciences et protocoles avec Evgeny. Il ne voulait pas le contredire.

— Et maintenant ?

— Tu te reposes et on te sort de là, déclara-t-il le plus simplement possible.

— Je ne tiendrai pas longtemps.

— Je sais. C’est pour ça que je suis là.

Jasper lui adressa un regard reconnaissant. Il ne le montrait pas mais mourir seul le terrorisait.

— On a peut-être une solution.

Jasper s’écarta légèrement pour voir les pupilles caramel d’Evgeny.

— Lara pense qu’en te plongeant dans un coma, cela stabiliserait ton état.

— N’est-ce pas un peu risqué ?

Les yeux d’Evgeny se firent un peu vague.

— Sans doute, mais cela nous permettrait de gagner du temps.

Jasper n’imaginait pas avoir une telle alternative. Il devinait les risques. Il pourrait ne jamais se réveiller, mais comparé à la mort certaine ce n’était rien. Quitte à choisir, Jasper penchait pour tester la proposition de Lara. Cela lui faisait un peu peur car il ne contrôlerait plus rien, et son endormissement pouvait être le dernier. Une nuit sans réveil. Il serra fort la main d’Evgeny.

— Très bien, on peut tester.

Evgeny l’enlaça, collant complètement son corps ambré avec celui livide du jeune homme, comme s’il voulait fusionner.

— Ça va aller. On va te sortir de là.

Jasper acquiesça. Si lui-même n’y croyait pas, alors il était vraiment perdu.

— J’ai peur, murmura-t-il.

— Je sais.

Evgeny lui caressa les cheveux collés par la sueur d’un geste apaisant. Le silence régnait en maître à l’intérieur de l’infirmerie. Jasper cala sa respiration sur celle d’Evgeny. Il se créa sa petite bulle, où seul existaient les bras d’Evgeny serpentant autour de son corps. Le monde extérieur n’avait plus lieu d’être, la maladie n’était qu’un lointain souvenir.