QUAND LA NUIT S'ABATTRA

12 Février

Le laboratoire mis à la disposition de Jasper était semblable à l’ancien, dans lequel il avait officié jusqu’à maintenant. Le cœur lourd, il commença sa tâche avec une impression de retour en arrière, seul le silence étouffant la pièce différait. L’atmosphère alourdissait chacun de ses gestes. Certes Jasper avait pu partir sur une nouvelle piste, mais ses co-équipiers ne l’aidaient vraiment pas. Contrairement à Amélie, Robert et James où ils échangeaient sans peine, se disputaient parfois quand leur point de vue divergeait, ici il n’avait que des robots. Enfin pas vraiment. Les personnes qui se trouvaient avec lui étaient bien des êtres humains, ou s’en approchaient à s’y méprendre, mais ne semblaient pas avoir d’état d’âme. Elles ne lui adressaient pas la parole se contentant d’obéir au moindre de ses ordres. Elles ne donnaient pas leur avis, restant muettes même quand le jeune homme partait dans une grosse erreur que même le lycéen aurait pu corriger.

Jasper sursauta à ces pensées. Depuis quand aimait-il échanger à propos de ses recherches ? Depuis quand souhait-il avoir des avis contradictoires au sien ? Depuis quand voulait-il qu’on le fasse douter ? Durant toutes ses études supérieures, il avait effectué ses recherches seuls, fuyant les travaux de groupe. Ce n’est que récemment qu’il avait été forcé de travailler en équipe. Et maintenant qu’on lui enlevait ça, il se rendait compte d’à quel point cela lui manquait.

Il gémit de frustration. En s’isolant s’était-il privé d’un autre champ de possibles ? Il grommela contre ces pensées. Non, il était aussi efficace seul, il n’en avait juste plus l’habitude. Cela reviendrait vite, se força-t-il à croire. Il se remit au travail, balayant cette réflexion.

— Jasper, ça suffit pour aujourd’hui, tu n’arriveras à rien de plus. Viens donc manger, lui cria le russe à travers la porte du laboratoire.

Evgeny n’y mettait jamais les pieds, reprenant cette habitude à William. Le scientifique soupira, sentant que son temps de paix était achevé. Il savait que dès qu’il aurait franchi le pas de la porte, le russe jouerait avec lui, instaurant une toute autre atmosphère.

*

A la sortie du laboratoire, Evgeny l’attendait appuyé contre le mur, les bras croisés. A son approche, il se releva, avançant vers lui d’une démarche chaloupée. Aussitôt Jasper se tendit. Il avait appris à comprendre le langage corporel du russe, et l’étincelle de malice qui brillait dans son regard n’était pas pour le rassurer.

— Que dirais-tu d’un peu de tranquillité ? Et d’une soirée intime ? susurra-t-il.

La question n’était pas si anodine qu’elle n’y paraissait. Jasper mourrait d’envie d’y répondre par l’affirmative, mais il flairait le piège. Le russe prit son silence pour un acquiescement. De toute façon, il faisait toujours comme il lui plaisait, sans tenir compte de l’avis du jeune homme. Il entraina Jasper dans son sillage, tout guilleret. Il le conduisit jusqu’à un salon privé où le jeune homme resta stupéfait.

Pour un peu, il se serait cru dans un conte des mille et une nuits. Un magnifique salon marocain emplissait la pièce. De lourdes tentures bordeaux décorées d’or garnissaient la pièce. Evgeny lui fit signe de s’asseoir sur l’un des nombreux coussins devant la table basse plus que remplie. Le jeune homme s’installa à genoux sur le sol cherchant une position confortable pour passer ce qu’il devina être de longues heures. Evgeny s’installa à sa suite.

— Mangeons avant que ça ne refroidisse, lui dit-il avec un éblouissant sourire.

Le festin était de roi et Jasper se montra suspicieux. Une telle générosité cachait surement d’autres intentions. Le jeune homme avait appris qu’en ce bas-monde rien n’était gratuit. Mais les plats ne semblaient pas empoisonnés puisque l’homme y picorait généreusement. Jasper l’imita, offrant un véritable feu d’artifices de saveurs à ses papilles. Il se régalait, oubliant peu à peu son hôte, qui lui mettait sa machination en place.