1.7 : Massacre

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Oden et Balder était allongés côte à côte derrière le talus.
Il ne leur avait fallu que très peu de temps pour atteindre le nouveau village. Mais même à un moins de trois mille pieds*, ils avaient senti l'odeur.

L'effluve âcre de la mort flottait partout. Il imprégnait leurs vêtements, s'incrustait dans leurs cheveux et surtout, il fouaillait leurs entrailles.

Balder avait fait signe à ses compagnons de rester en contrebas pendant qu'il montait le talus. Il était peut-être impitoyable avec ses ennemis, mais il ne sacrifiait pas ses hommes.
Ce qu'il vit le laissa sans voix, pour peu qu'il eut été prolixe — ce qui n'était pas le cas.

Toutes les maisons avaient brûlé. Il ne restait rien d'autres que des bouts de bois calcinés et des pierres noircies. Mais pire que tout, ce fût les cadavres entassés derrière les maisons qui lui souleva le cœur.

L'odeur venait de là.
Certains corps à moitié brûlés avaient dû être tiré dans flammes pour être enterrés. À côté de cette amoncellement morbide, des femmes creusaient des tombes.

Uniquement des femmes. Plus loin encore, des enfants hagards regardaient la mort faire son œuvre. Là encore, Balder n'arriva à distinguer que des petites filles.

— Tous les hommes ont été tués...

Oden s'était faufilé à côté de lui et observait la scène avec le même sentiment d'horreur.
Qui avait pu faire une telle chose ?
Qui pouvait tuer des enfants, et même des bébés, juste parce qu'ils étaient nés mâles ?

Les femmes seraient sans ressources et sans protection, condamnées aux viols, à la famine ou à la prostitution. Ce qui ne serait pas arrivé sur leur île.

Chez eux, même les femmes étaient des guerrières. Elles apprenaient depuis leur plus jeune âge à se battre aux côtés des hommes.
Comment les habitants des terre pouvaient-ils laisser les personnes qu'ils aimaient le plus au monde sans protection ?

— Forme deux groupes, ordonna Balder. Faites le tour et vérifiez tout ce que vous pouvez prendre.

Oden le regarda, les yeux écarquillés.

— Par tous les Dieux ! Tu n'y penses quand même pas ?! Elles vont mourir de faim !

Balder ne prit pas la peine de le regarder avant de redescendre.

— Elles sont déjà mortes, assena-t-il. Ce n'est qu'une question de jours...

Son frère jura, mais suivit ses ordres.

                                                      ***

Orvar emboîtait le pas à Balder en silence.
Apprendre qu'ils allaient piller des femmes et des enfants ne le dérangeait pas. Voir leur regard désespéré était une autre affaire. Il resta cependant stoïque lorsqu'ils s'approchèrent du tas de corps. Une femme poussa un cri et s'éloigna d'eux précipitamment, rassemblant avec elle quelques enfants.

Balder se posta devant les corps et observa le massacre. Il reconnut des blessures d'épées et de dagues. La plupart avait été égorgé en plus, certainement pour être sûr qu'ils resteraient bien morts.

Il contourna le tas et s'immobilisa.
À ses pieds, le cadavre d'un bébé au visage crispé gisait, recouvert de sang. Il s'accroupit, posa une main sur ses yeux et baissa ses paupières.

De longues secondes passèrent sans qu'il ne fasse le moindre geste. Il n'arrivait pas à détourner son regard du bébé.

Puis des pas, à côté de lui, détournèrent son attention et il se releva.

— Gunnar a trouvé des pommes de terre, déclara Oden d'une voix hâtive.

Il semblait vouloir déguerpir au plus vite. Balder hocha la tête et regarda autour de lui.
Les femmes les fixaient, une lueur craintive dans le regard, mais silencieuse. Il les ignora et fit un signe de tête à ses hommes. Ils avaient ce qu'ils voulaient, ils n'avaient pas besoin de s'attarder.

Alors qu'ils s'en allaient, Balder remarqua une petite fille à l'écart. Elle ne devait pas avoir plus de cinq ans, ses cheveux étaient d'un blond doré, très différent des autres femmes et de la plupart des tribus du littoral. Il s'arrêta pour la regarder.

Oden, qui n'avait pas remarqué son intérêt soudain continuait d'avancer.
Balder posa un genou à terre devant la gamine. Ses yeux étaient d'un bleu aussi profond que les siens.

Gunnar fit un signe de tête vers Oden qui s'immobilisa pour regarder derrière lui.

— Où es ta mère ?

La petite fille regarda Balder sans répondre. Il n'était même pas sûr qu'elle comprenne ce qu'il disait.

Aucune femme du village n'était près d'elle, et aucune n'avait couru vers elle quand il s'était approché. Il regarda autour de lui. Les femmes l'observaient mais ne faisait aucun geste.
Il passa un bras autour de la gamine et la souleva dans ses bras.

Oden écarquilla les yeux.
Ses hommes le regardèrent passer devant eux, soucieux. Tous se retournèrent alors vers Oden qui jura et courut derrière son frère.

— Qu'est-ce que tu fiches, par tous les Dieux ?!

Il jeta un coup d'œil vers les femmes, mais elles ne bronchaient toujours pas.

— Je sauve une vie.



* 3000 pieds = 1km environ

Le Roi en Exil, tome 2 : Niall [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant