2.1 : Gardienne de Tar

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Le discours d'Alvis sonnait toujours en faveur du peuple. Il n'y avait qu'à voir les autres conseillés qui acquiesçaient.

Pourtant Brynhild savait que derrière ses paroles, il y avait bien plus que le bien-être du peuple de Tar en jeu. Car l'argent mis dans les réparations de la tour ne remplirait pas les ventres.
Et des ventres vides se révoltaient avec bien plus de férocité que quelques pierres tombées au sol.

Ce n'était pas la première fois que la jeune femme soupçonnait son oncle de monter le peuple contre elle. Car même si elle n'avait aucun pouvoir, elle restait Gardienne de Tar jusqu'à sa mort. Ce n'était qu'un titre honorifique, mais c'était un rôle qui la contraignait à prendre soin des habitants de l'île en toute circonstances. Qu'elle ait, ou non, du pouvoir.
Son oncle agrippa son bras et l'entraîna dans son sillage de manière à ce que les autres n'entendent pas.

— Ma Dame, commença-t-il plus doucement, vous savez ce qu'il en est.

Il jeta un coup d'œil vers les autres conseillers dont les yeux étaient fixés sur eux.

— Votre réputation n'est pas... (il fit mine de chercher ses mots)... au beau fixe. Et...

Brynhild se dégagea brusquement, avec un frisson de dégoût.

— Ne prenez pas ce ton avec moi, mon oncle, déclara-t-elle, la répugnance clairement perceptible dans sa voix. N'espérez pas monter tous ces gens contre moi.

Lorsqu'elle le fixa, ses yeux lançaient des éclairs.
— Vous ne gagnerez pas à ce jeu là !
Alvis la dévisagea. La haine déforma son visage pendant quelques secondes avant de reprendre un masque d'une humble hypocrisie.

— Ma Reine...
Il s'abaissa avec grâce dans une révérence obséquieuse.
— ... vous vous méprenez, j'en ai bien peur. Mon seul désir est de vous satisfaire. Et le peuple...

Il secoua la tête et afficha un air triste.
— ... le peuple n'a pas conscience des efforts que vous faites pour l'aider. Il ne mérite pas une aussi bonne reine !

Ces derniers mots avaient été crachés, comme s'il exécrait cette populace qui faisait pourtant de Tar ce qu'elle était : une nation soudée aux idéologies communes.

Constatant que Brynhild ne réagissait pas, il reprit une attitude servile.
— Ma Reine, les réparations de cette tour sont impératives. Depuis quelques semaines, nos vigies font des rapports alarmants sur le regroupement de flottes à l'Est. Si des flottes se regroupent au Nord...

— Rien ne prouve qu'ils vont venir nous attaquer.
Alvis pencha la tête et retint un soupir contrarié.
— C'est exact, mais il vaut mieux prendre garde et faire le nécessaire. Il sera trop tard lorsque les bateaux arriveront sur nos côtes.

Après un silence, il reprit :
— Nos guerriers sont valeureux, nous le savons vous comme moi. Mais ils ne sont pas assez nombreux... Si une attaque se produisait, je ne donnerais pas cher de Tar, et de votre...
Il hésita et détourna le regard.
— ... vertu.

Brynhild serra les dents.
Son air de s'en préoccupait alors que son seul souhait était de la voir morte lui donnait envie de lui cracher à figure.

Ce qui aurait joué en sa défaveur, elle le savait. Un bref coup d'œil vers les autres conseillés lui appris qu'ils les observaient toujours.
Elle écarta son oncle, et se tourna vers les conseillés.
— Réparez cette tour, mais je vous interdis de prendre l'argent chez le peuple, ordonna-t-elle.

Les hommes en face d'elle se crispèrent, et se lancèrent des regards d'incompréhension. L'Ayava n'avait jamais vraiment eu droit au chapitre jusqu'à présent. Mais contredire la Reine était... compliqué.
— L'argent sera prélevé chez les Hökmar. Une pièce d'or par famille. Cela devrait payer au moins la moitié des réparations, sinon la totalité.

Tous les hommes présents eurent un hoquet de surprise outragée.
Brynhild leva la main pour les empêcher de protester, et continua :
— Le peuple a assez donné pour cette île. Il est temps que les Seigneurs s'y mettent aussi.

Son ton hautain moucha tout le monde. Un silence tendu plana sur l'assemblée.
Les Hökmar étaient l'élite de Tar. Les nobles, les riches. Ceux qui avaient la vie douce, même en ces temps de disette.

Brynhild savait qu'en leur demandant plus qu'ils ne donnaient déjà, elle risquait la désapprobation, voir l'opprobre général. Mais il était grand temps qu'elle fasse entendre sa voix, et qu'elle reprenne les rênes en main. La méthode de son père avait fonctionné pendant trente ans, mais aujourd'hui, elle était désuète et surtout elle jouait contre elle et le bien-être de son peuple.

Sa décision était prise : elle allait reprendre sa place d'Ayava, et pas seulement pour la parade.
— Faites passer le message dans les grandes familles : la sécurité de Tar passe par eux dorénavant.

Elle se dirigea vers la sortie avant qu'un des hommes ne puisse la contrer.

Le Roi en Exil, tome 2 : Niall [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant