5.4 : Brogan

180 27 3
                                    


Brogan se laissa conduire vers le long bâtiment au toit d'ardoise, à l'est du château.
Il n'appréciait pas de ne plus avoir le roi sous sa protection mais il avait compris qu'ils n'avait plus les cartes en mains.

Niall se débrouillait sans lui, comme il avait déjà commencé à le faire.
Le baraquement ressemblait à toutes les garnisons qu'il avait pu visiter : une pièce toute en longueur, des paillasses posées à distance régulière pour chaque soldat, et au fond, d'autres cellules où devaient se trouver un endroit pour se laver.

Il n'y avait rien de plus si ce n'était d'immenses armoires sans porte où étaient accrochées toutes sortes d'armes : épées, principalement, mais aussi haches d'arme, masses cloutées, poignards, hallebardes, et fléaux. Le parfait équipement pour un soldat partant en guerre.
Ce qui ne rassura pas Brogan.

Daron fut amené tout au fond, à côté des bains, qui recélait aussi une pièce qui ressemblait à une infirmerie. Cette pièce-là possédait un vrai lit, un matelas moelleux et des couvertures douces et chaudes.
Il resta un long moment à observer son ami pour être sûr que tout allait bien puis il choisit une paillasse pour s'installer.

On lui avait expliqué que seuls les soldats célibataires vivaient ici, et ceux qui étaient de garde dans la cité. La pièce n'était jamais remplie, car beaucoup de guerriers avaient des femmes et leur propre chez eux.
Il était dorénavant considéré comme un invité ; malgré tout, les hommes le regardaient avec méfiance.

Incapable de rester à rien faire, il ressortit pour explorer les lieux.
Derrière la caserne, se trouvait une arène. Ou plutôt une place circulaire, couverte de sable. Il n'y avait aucune tribune autour, aucun spectateur, si ce n'était quelques soldats qui observait le combat qui avait lieu entre deux hommes au milieu de l'enceinte sableuse.
En tant que maître d'arme, chef de la garde et entraîneur, Brogan tendit immédiatement son regard vers le jeu des combattants.

C'était un entraînement comme les autres entre deux soldats, il avait vu cela des centaines de fois. Sans doute plus. Son œil expert nota les erreurs de chacun, leurs faiblesses et leurs forces en quelques minutes.
Lorsqu'ils sentit une présence derrière lui, il se retourna d'un bloc.
Le guerrier balafré était là, silencieux, à l'observer
Il se souvenait très bien de lui, et des coups qu'il avait reçu. Brogan était très grand. Il impressionnait toujours par sa taille et sa corpulence. Ses bras noueux pouvait étouffer un homme rien qu'en le serrant.

Pourtant, le guerrier ne semblait pas le moins du monde impressionné. Il était plus petit, certes, mais non moins costaud.
Niall lui avait parlé de la proposition de la reine. Ses guerriers contre le mariage. L'idée était intéressante.

Cette force supplémentaire représenterait un avantage non négligeable. Mais il devait d'abord savoir si ces guerriers étaient vraiment des hommes sur qui il pouvait comptait.
Si seulement ils pouvaient retrouver Magnus, Lochlainn et les autres...
L'homme le fixait toujours, aussi immobile qu'une statue. La cicatrice qui barrait son nez et sa joue lui donnait un air redoutable, c'était une alarme pour quiconque aurait voulu l'approcher, et si ce n'était pas suffisant, son regard bleu profond, dépourvu d'âme était un second indicateur pour l'éviter.

— Ils font beaucoup d'erreur, déclara Brogan, d'une voix neutre. Leur jeu de jambe n'est pas assez fluide.

Un rictus apparut au coin des lèvres du guerrier. Brogan se demanda s'il s'agissait d'un sourire ou d'une grimace.

— Ce sont de très bons guerriers, rétorqua Balder sans ciller.
— Pas assez bons pour moi.

Brogan observa la réaction du guerrier dont le regard s'enflamma pendant une fraction de seconde avant de redevenir aussi neutre qu'auparavant.
Un guerrier redoutable que celui qui sait garder son calme en toute circonstance.
C'est d'hommes comme lui dont il avait besoin. Pas des soldats ordinaires, aussi forts fussent-ils.
Le type se tourna vers ses camarades et émit un sifflement aigu. Tous se retournèrent vers lui et attendirent les ordres.

Calme et respecté.
Balder lui fit un bref signe de tête et se dirigea vers le périmètre sableux. Brogan n'avait pas besoin d'explications pour comprendre qu'il venait d'être défié.
Avec un sourire féroce, il enfila ses pas.
L'arène n'était pas très grande. À peine cent pieds de diamètre. Suffisante pour qu'une dizaine d'hommes s'entraînent, cependant.

Le sauvage à la cicatrice enleva le haut de daim à manche longue qui recouvrait son torse. En dessous, il ne portait rien.
Il tendit la main et un homme lui envoya un long bâton de combat. Un autre fut envoyé vers Brogan sans qu'il ait rien demandé.
Il leva le bras et le rattrapa au vol.

Le guerrier commença à tourner autour de lui, comme une danseuse : souple, agile et rapide. Presque gracieux.
Mais Brogan avait entraîné la garde. Il lui en fallait plus pour s'extasier.
Son corps suivi ses yeux pour garder en vue son adversaire, prêt à contrer dès que celui-ci attaquerait.

Ce qu'il fit la seconde suivante.
Les coups de bâtons résonnèrent dans l'air, secs et répétitifs.
Brogan laissait son adversaire attaquer et se fatiguer pour voir jusqu'où le guerrier pouvait aller. Et la réponse était : très loin.

Un éclair d'admiration traversa son regard alors qu'il tournait autour de lui après avoir repousser une dizaine de ses coups.
Balder le fixait, les yeux plissés. Brogan aurait été incapable de dire ce qu'il pensait. Ce type était une tombe.

Il attaqua à son tour.
L'autre recula, encaissa les coups sans broncher, malgré la charge de taureau de Brogan.
L'affrontement dura plus d'une heure. Jusqu'à ce que tous les deux soient en sueur, et la respiration haletante.

Autour d'eux, d'autres hommes s'étaient regroupés pour observer le combat.
Brogan les ignorait, concentré sur celui qu'il pensait être à la hauteur de sa garde. Il lui fit subir tout — et bien plus — ce qu'il avait déjà fait subir à ses frères d'armes.
L'autre ne flancha pas.

Balder avait la hargne de Lochlainn, le calme de Magnus, l'endurance de Cavan et la force de Daron. Un mélange explosif.
Il eut beau le harceler, le frapper avec l'énergie d'un fou furieux, le guerrier ne plia pas.
Chaque fois, il rompait pour mieux se positionner et se remettre à l'attaque.
Brogan était impressionné, à vrai dire.

S'il en avait eu cent comme lui, il aurait été sûr de reprendre le trône en quelques heures.
Malgré cela, il resta stoïque, et planta son bâton dans le sol.
Balder se redressa et se recula.

Autour d'eux, il y eux des murmures, puis un brouhaha.
Brogan remarqua alors qu'ils avaient attiré plus de monde qu'il n'avait pensé.
Trois hommes s'approchèrent de son adversaire, dont l'un qui lui ressemblait étrangement. Ils échangèrent quelques mots dans la langue gutturale de l'île, avant de se tourner vers lui.

— Si vous voulez participer aux entraînements, vous êtes le bienvenu, déclara le jumeau de Balder.

Brogan hocha la tête et lui tendit son bâton.
Oui, il allait s'entraîner avec eux ; ou plutôt... il allait les entrainer.
Niall lui avait dit qu'il lui faudrait reformer des hommes pour compléter sa garde, suite au vide laissé par la mort de Cavan. Il n'imaginait pas que ce moment arriverait aussi vite.
Il sélectionnerait les guerriers un à un pour former une deuxième garde.

Le Roi en Exil, tome 2 : Niall [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant