2.3 : Doléances

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Brynhild attendait avec impatience la fin des doléances, enveloppée dans son manteau en peau de bête, qui ne lui tenait pas vraiment chaud dans cette pièce remplie de courants d'air. Pourtant, elle ne se plaignait pas.

Car devant elle, les hommes défilaient pour lui faire part de leurs problèmes. Et le fait qu'elle ait froid était le cadet de leurs soucis.

Elle prit le gobelet de vin qui avait été posé sur une console à côté d'elle, mais n'eut le temps de boire que deux gorgées avant l'arrivée de nouvelles personnes.

Ayava, la chèvre a été retrouvée chez eux ! Ils ne peuvent pas nier.

Brynhild se tourna vers le coupable dont l'attitude gênée était assez significative. Elle comprenait que la faim pouvait pousser les gens à certaines choses, mais elle ne pouvait tolérer le vol qui condamnait une autre famille à la famine.

— Ma petite fille n'a plus de lait pour se nourrir, continua le plaignant.

Les deux hommes faisaient partie des castes les plus pauvres de Tar. Ils vivaient sur les berges du Nord Est. Là où le temps et la mer étaient peu cléments avec les hommes.
Elle devait sévir tout en restant juste. Blâmer une famille qui avait péché par désespoir ne ferait pas d'elle une meilleure Reine.

— La chèvre est-elle toujours vivante ? demanda-t-elle.

Le vieil homme accusateur se tourna vers l'autre. Ce dernier hocha vigoureusement la tête.

— Mon bouc l'a monté, Ayava. Elle va avoir des petits.

Brynhild réfléchit un instant.
Si la chèvre était pleine, le chevreau ne viendrait pas au monde avant environ cinq mois.

— En attendant la mise bas, tu devras nourrir sa petite fille, dit-elle. Tous les jours, tu lui apporteras le lait que tu auras tiré.

L'accusé hocha la tête, soulagé d'une sentence aussi légère.

— Ce n'est pas fini, ajouta Brynhild, une main levée. Le premier-né de cette chèvre lui reviendra.

Elle désignait le vieil homme venu se plaindre du vol.

— Le deuxième-né te reviendra. Et enfin, le troisième né lui reviendra encore. Au terme de quoi, tu pourras garder la chèvre, et lui aura deux nouvelles bêtes.

Les hommes se regardèrent. Chacun réfléchissait au jugement. Du temps de l'ancien roi, l'accusé aurait dû payer une amende assez élevée, peut-être même aller en prison.

Mais cette solution était plus avantageuse sur le long terme. Avec un peu de chance, la chèvre mettrait bas deux petits. Et en attendant les longs mois avant la naissance des chevreaux, son lait pourrait être transformé en fromage car le bébé ne boirait pas tout. Ils étaient tous les deux gagnants dans cette affaire.

— Pour finir... puisque tu prives cette famille de nourriture...

L'homme accusé baissa la tête et tritura le rebord de son chapeau qu'il tenait à la main. Brynhild comprenait son désarroi, mais il devait être puni pour avoir transgressé les règles de Tar.

— ... tu seras à son service jusqu'à la naissance des chevreaux. Tu iras pêcher en mer avec lui.

L'homme redressa la tête pour protester. S'il ne travaillait pas sur ses terres, qui nourrirait sa famille ?

— Et il te donnera un quart de sa pêche.

Brynhild se pencha vers lui.

— Ce qui veut dire que, si tu veux que ta famille puisse manger, tu devras t'acquitter de ta tâche avec ardeur. Car si vous ne pêchez que trois poissons, tu n'auras rien !

La sentence pouvait paraître dure mais elle permettait aux deux partis de récolter les fruits de leur labeur sans être dépouillés pour autant.

« Avec un peu de chance, pensa Brynhild, en partageant leur malheur, ils découvriront une fraternité bienvenue. »

Le Roi en Exil, tome 2 : Niall [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant