2.0 : Brynhild

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Brynhild regarda encore une fois les hommes devant elle. Elle n'écoutait que d'une oreille distraite leurs plaintes.

Elle en avait assez de leurs jérémiades. Ils étaient mieux lotis que la plupart sur Tar. Les plus riches, ceux qui mangeaient à leur faim, et qui avaient toute la protection et la chaleur nécessaire pour ne pas être inquiété la nuit.

Elle réfléchissait à la manière d'aider son peuple, plutôt que ces parvenus.
Du bout des doigts, elle caressa le contour de son gobelet en argent avant de le porter à sa bouche. Le vin sucrée calma un peu de son impatience, mais pas assez pour ne pas réagir à la proposition qui venait d'être faite.

— Vous ne pouvez pas imposer cette nouvelle taxe ! assena-t-elle.
Elle avait reposé son verre avec tellement de force, que le liquide déborda.
Les quatre conseillers réunis autour de la table — dont son oncle — se tournèrent vers elle comme s'ils la découvraient. Chaque conseil se passait de la même façon : ils décidaient de ce qui devait ou ne devait pas être fait, sans son aval. Elle n'était là pour que la parade.

Parce qu'elle était l'Ayava. La Reine.
Mais elle avait aussi peu de pouvoir que celui qui fabriquait des chaloupes pour toute l'île. Les lois de Tar faisaient en sorte que le Roi et la Reine n'aient pas le pouvoir absolu. Son père y avait veillé. Après des années de dictature imposée par son grand père, ses parents avaient veillé à des lois plus mesurées.

Peut-être grâce à sa mère ?
Son père ne s'était pas marié avec une femme de l'île, comme le voulait la coutume. Sa mère venait d'au-delà des mers. Lorsque son bateau s'était échoué sur Tar, son père l'avait soigné et s'était pris d'affection pour elle. Son grand-père avait été furieux, mais il avait été trop tard : ils s'étaient marié en cachette et avait consommé l'union.

Son père avait été un roi juste et bon. Son peuple avait prospéré grâce à ses trente années de règne, qu'on avait surnommé « les années opulentes ». Tout le monde mangeait à sa faim, le troc avec les autres îles était à son point culminant. Il faisait bon vivre à cette époque-là sur Tar.

Puis tout avait basculé.
Brynhild se souvenait.

Sa mère était morte d'une maladie inconnue. Ses souffrances sur son lit de mort resteraient à jamais gravé dans la mémoire de la petite fille qu'elle était alors. Elle se tordait de douleur dans son lit sans que personne n'arrive à trouver de solution. Son père, le Roi, avait été dévasté.
Sa mort avait entraîné une réaction en chaîne dévastatrice. Son père avait perdu la tête.

Plus les jours passaient, plus Brynhild se rendait compte qu'il n'allait pas bien. Il oubliait de nombreuses choses, passait de longues minutes — puis des heures — les yeux dans le vague. Lorsqu'on lui parlait, il ne réagissait pas.

C'est à ce moment-là qu'elle avait remarqué l'attitude singulière de son oncle. Il poussait régulièrement son père à prendre des décisions qui allaient à l'encontre de ses principes. Des décisions qui sonnaient en sa faveur plutôt qu'en celle de son peuple.

La jeune femme avait vu les gens s'appauvrir, et l'île dépérir petit à petit. Quoique le changement de climat qui avait rendu les terres infertiles n'était certainement pas l'œuvre de d'Alvis, son oncle. Il était loin d'avoir les pouvoirs d'un Dieu. Ni sa prestance, d'ailleurs.

Elle regarda son visage long et émacié. Elle ne supportait plus de croiser son regard mesquin. Des yeux de serpent !
— Vous ne pouvez pas taxer ces malheureux encore un peu plus. Ils meurent de faim !

Elle se leva pour faire les cents pas.
Les conseillés se regardèrent un instant avant que l'un d'eux ne prennent la parole. Son oncle.
— Les réparations de la tour Nord ne peuvent attendre, Ayava, déclara-t-il d'une voix suave.

Brynhild ne s'y trompa pas. Derrière son ton déférent, le fiel perçait. Cependant, elle préféra adopter une attitude polie. Elle savait qu'elle ne le battrait pas sur ce terrain-là. Il avait des années de pratique.
— La tour Nord ne nourrit pas mon peuple, déclara-t-elle un peu plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu.

Alvis tiqua.
— C'est un fait, concéda-t-il. Mais elle permet de les garder en sécurité.
Il se leva à son tour et s'approcha d'elle.
— Il n'y aura plus de peuple à nourrir si nous sommes attaqués. Ils seront tous massacrés.

Et de fait, Tar avait eu à subir plusieurs invasions au cours des siècles. Sa prospérité avait fait beaucoup d'envieux. Et les îles alentours étaient très nombreuses. À tel point, que personne ne les avaient encore toute répertoriées.

Le Roi en Exil, tome 2 : Niall [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant