Chapitre 40 : Je n'ai pas dit ça

25 10 2
                                    

— Ouais, Borac, c'est moi ! enchaîne Amaël en quittant le chalet.

Je regarde la massive porte en bois se fermer sur lui avant de me retourner vers le salon. L'atmosphère de ce chalet est très paisible, je sens comme de bonnes ondes traverser mon corps de part et autre. Un portrait de trois personnes posé sur le haut de la cheminée attire instinctivement mon œil. D'ailleurs, c'est la seule photo présente dans ce salon d'après ce que je peux voir.

En arrivant devant, je distingue un papy sans doute âgé d'une soixante-dizaine d'années accompagné de deux garçonnets. À mon avis, à en croire leurs tailles, le plus grand doit avoir deux ou un ans de plus, mais je ne suis pas sûre. Je n'ai jamais été très douée pour deviner ça, de toute manière.

Le visage enfantin du plus jeune attire toute mon attention, enfin, surtout ses yeux. Ils sont d'un bleu que je reconnaîtrais entre mille. Le regard d'Amaël n'a absolument pas bougé entre toutes ses années, qui se sont écoulées. Ses traits de visage sont certes plus âgés, mais ses sourcils bien définis, son air assuré et confiant, ainsi que la forme de son minois n'ont pas changé avec le temps.

D'ailleurs, les yeux du papy qui accompagne les deux garçons ont la même expression, la même énergie que les gamins à ses côtés. C'est sans aucun doute leur grand-père. Le second enfant doit être l'un des cousins d'Amaël, car ils n'ont pas grand-chose en commun, mise à part leurs iris bleus, même si ceux de mon ami semblent plus clairs.

Tout d'un coup, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir dans un grand fracas laissant apparaître la version plus adulte du petit bonhomme du portrait de famille.

— Ne t'inquiète pas, je ne la lâcherais pas d'une semelle, formule distinctement Amaël tout en me regardant bien droit dans les yeux, avant de raccrocher au nez de Borac.

En me voyant devant la photo de son enfance, Amaël ne peut s'empêcher de sourire.

— Le chalet appartient à mon grand-père, précise-t-il. À l'époque, il venait chasser dans le coin avec son père puis à la mort de ce dernier, il a décidé de construire ce chalet pour y amener son fils et ses petits-fils par la suite. Très peu de personnes connaissent l'existence de cette demeure. C'est un peu notre endroit secret pour échapper à la ville et aux diverses pressions que l'on peut subir vis-à-vis du roi. Je t'avoue que j'aimais beaucoup me détendre ici, il y a peu de temps, dit-il avec un air mélancolique.

Amaël m'invite à m'assoir sur le grand sofa qui trône au milieu du salon.

— Pour tout te dire, il se trouve que je chassais du cerf avec mon grand-père quand j'étais jeune d'où la photo sur la cheminée. Il y a toujours eu une importante communauté de cerfs dans l'étendue boisée qui borde la rivière que tu as sous tes yeux. À mes dix ans, mon papy m'a demandé de l'accompagner de bon matin pour partir une journée en forêt avec les fusils. C'était la première fois que j'avais une arme aussi puissante dans les mains. J'étais un peu effrayé, mais surtout excité de pouvoir faire comme mon ancien, raconte-t-il avec une émotion dans la voix. On a traqué un cerf pendant une bonne heure et quand on est arrivé devant lui, j'ai été subjugué par la beauté de cet animal. Je n'avais jamais pris le temps de les observer auparavant, car mon grand-père a toujours tiré assez rapidement, mais puisque celui-là m'était réservé, j'ai voulu l'admirer de plus près.

Je le regarde avec insistance obnubilée par son récit, qui semble le ramener à cette époque.

— Puis mon grand-père m'a demandé de le tuer comme il en avait l'habitude, mais je n'ai pas pu. Cet animal ne méritait pas que je l'exécute alors qu'il broutait paisiblement dans la forêt sans se soucier du danger qui allait s'abattre sur lui. Il a tout de suite compris et ne m'a pas forcé à le faire et nous l'avons contemplé durant une heure avant qu'il ne s'enfuie à cause d'un bruit environnant. Depuis ce jour-là, nous ne sommes plus jamais allés chasser, mais nous partons en randonnée pour observer les cerfs. D'ailleurs, maintenant j'adore cet animal, que je trouve majestueux et, je ne mange plus de viande comme tu as pu le voir au repas d'hier soir. Et cela explique aussi, le magnifique tablier de cuisine qui m'a été offert par mon grand-père.

Dans les songes de Kaelia [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant