Prologue

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~Deux mois plus tard~

Deux mois. Voilà tout le temps que Delyth avait passé dans cet endroit. Huit longues semaines où elle n'avait pu prononcer une seule phrase, où les médecins tentaient de la reconstruire à l'aide de mots et de soins.

Seulement, elle refusait d'écouter comme elle fuyait leur douceur. Ils tentaient de la rassurer, elle les repoussaient, ils voulaient l'aider, elle les blessaient.
Son feu suivait ses envies, à présent, sortant à la moindre de ses colères, à la moindre de ses douleurs. Mais plus le temps passait, plus ses émotions s'amenuisent. Ni tristesse, ni douleur, ni peine, ni rage. Ne demeurait que le vide, l'absence d'émotions. Même son feu finit par cesser de brûler.
Cinquante-six petits jours avaient eu raison de sa santé mentale, la réduisant à l'état de coquille amorphe. Elle avait vite compris que si elle mangeait les plats qu'on lui apportait, on la laissait tranquille.

Quant à dormir... son sommeil était des plus agités. Tous les soirs, sa nuit était peuplée de flammes. Elle pouvait entendre les hurlements percer la fumée, les cris de ceux qu'elle aimait. Ceux qu'elle avait... Elle se réveillait toujours en nage, trempée et tremblante, quand l'aube n'apparaissait pas encore. Elle ne voulait pas découvrir ce qu'il s'était passé, ce soir-là.
Son père Aeddan avait tenté de lui parler, de lui expliquer, mais elle avait toujours refermé son esprit. Elle forçait tellement sur ses limites pour le repousser qu'elle avait pris conscience d'un nouveau don : autant elle pouvait attirer les hommes avec ses phéromones... autant elle pouvait les faire fuir. Si les personnes partageant son sang était immunisées contre la première, la seconde s'était montrée plutôt efficace jusqu'ici.
Un jour, alors qu'elle passait la journée à regarder par sa fausse fenêtre, son père entra dans la pièce comme une tornade : avec bruit et rapidité. La jeune femme avait à peine eu le temps de tourner la tête qu'il lui saisit brutalement les épaules.

Jamais encore Aeddan n'avait eu un comportement si violent à son égard. À cet instant, elle pouvait lire en ses yeux toute la colère qu'il avait dû refouler. À croire qu'il avait accumulé toute sa rage durant des millénaires pour arriver à ce moment précis. Il écumait, il brûlait comme un feu destructeur.
― Qu'est-ce que ?
― Maintenant, ça suffit, cette histoire a assez duré !
― Laisse-moi tranquille, s'énerva Delyth, prête à user de ses phéromones de repoussement.
― Oh, je ne crois pas, non. Tu vas m'écouter maintenant, je le supporte depuis trop longtemps. Si je ne fais rien, rien ne va jamais s'améliorer !
― Et alors ? fit-elle avec provocation. Je n'ai jamais dit que je voulais aller mieux !
Aeddan serra les dents et fit ce qu'il n'avait jamais osé avant, ces extrémités qu'il n'aurait jamais voulu atteindre. Il leva son bras d'un geste décidé, sans que Delyth s'en aperçoive. La jeune femme pensa lascivement avoir encore gagné quand elle reçue une gifle retentissante. Pour une fois, elle sut reconnaître la vraie douleur. Des larmes inondèrent ses yeux sous la force du choc.
La vraie douleur n'était pas physique, mais psychologique. Elle sentie un sentiment aigre resurgir des tréfonds de son être. Elle se sentait trahie. Son père se devait d'être de son côté, de la soutenir... pourquoi il- ?
Il reprit les épaules de sa fille avec brusquerie. Ses mains ne tremblaient même pas, il n'éprouvait nul remord.
― Maintenant que tu es vraiment réveillée, tu m'écoutes, exigea-t-il.
― Je rêve ? Tu crois que je vais t'écouter après ça ?
― J'en ai assez, grogna son père, maintenant cela suffit. Je dois te dire ce qu'il s'est passé ce soir-là, que tu le veuilles ou non.

Delyth se débattait, elle ne voulait pas entendre, elle ne souhaitait pas savoir. Seulement, il ne lui en laissait pas le choix. Pas aujourd'hui. Elle était contrainte, forcée à écouter. Aeddan était satisfait : elle avait déjà prononcé plus de mots ces trois dernières minutes que ces deux derniers mois.
― Ce soir là, dans la forêt, tu es allée jusqu'au territoire de la Meute.
Delyth poussa un hurlement strident pour ne pas entendre la suite. Aeddan couvrit sa bouche de sa main. La jeune femme paniquait. Allait-il lui annoncer qu'elle avait tué tout le monde ? Après tout, cette cellule où elle croupissait depuis ces longues semaines ressemblait à une prison. N'était-elle pas une criminelle ?
― Écoute jusqu'au bout, même si c'est dur ! Tu es parvenue à aspirer l'énergie d'un Lycanthrope mais ensuite tu as libéré des flammes, tu as mis le feu à la forêt, Delyth ! Que tu veuilles le savoir ou non ne change pas tes actions !
La jeune femme sanglotait déjà, mais sa frénésie se calmait peu à peu. Elle avait cessé de vouloir crier, cesser de vouloir s'enfuir. Les yeux fermés, elle entendait son père lui dicter ses actes, aussi abominables soient-ils.
― La forêt a pris feu, reprit-il plus calmement, il s'est propagé jusqu'à un petit village et brûlé trois maisons.
― Je... j'ai..
― Il n'y a eu aucun blessé, Delyth, tous avaient déjà évacués les lieux. Mais cela reste très grave. Des gens ont perdus tout ce qu'ils avaient !
― Je suis désolée, pleura Delyth. Je ne voulais pas...
Son père avait lâché son emprise sur elle, l'avait prise dans ses bras dans un geste de réconfort.
― Je ne dis pas ça pour te rendre triste. Seulement pour que tu puisses réaliser ce qu'il s'est passé. Ne ressasse pas de scénarios théoriques dans ta tête, fais face à la réalité. Oui, c'est horrible, oui, tu as perdu le contrôle. Mais cela arrive, tu vas t'améliorer, comme nous tous avant toi.
― Mais... et le village des Lycanthropes ? Ils étaient juste à côté...
― Il est encore entier. Ils ont eu de la chance, le vent poussait le feu vers le nord, et le village était juste à l'est... leur grillage a fondu, les premiers arbres ont été brûlés mais leur territoire a pu être sauvegardé.
― Et les habitants... Faël. Papa, qu'ai-je fait ?
À nouveau, Delyth sentie une crise d'angoisse enfler dans sa poitrine, bloquer ses poumons.
― Faël va bien, promit Aeddan.
Delyth sentit sa boule désenfler doucement. Le moment où elle fonçait sur ses amis et leurs bourreaux telle une boule de feu était-il le fruit de son imagination ? Un million de fois, ces dernières semaines, elle avait imaginé les Lycanthropes brûler, ses propres amis se tordre de douleur et de crainte. Mais ils allaient tous bien ?

Aeddan avait toujours le regard sombre, l'histoire n'était pas encore finie.
― Quand tu as perdu le contrôle, c'est Solbritt qui a su t'arrêter... mais il en a souffert amèrement. Il a eu de graves brûlures dont il portera les marques toute sa vie.
― Je ne voulais pas faire tout ça, j'ai perdu le contrôle... Je ne voulais pas manquer de respect à Solbritt... mais il faisait battre l'un des siens ! Ils le frappaient tous, papa !
― Peut importe qu'il ait eu raison ou tort. Il a failli perdre l'usage de son bras gauche, Delyth, tu as failli le tuer !

― Il l'avait mérité ! Il paraît peut-être sympathique et compréhensif mais c'est un tyran !

― C'est un Alpha. Un chef, Delyth. Il s'agissait de ses membres, de leurs règles... tu n'aurais même jamais dû te rendre là-bas.

― Où est Faël ? Et Markus ? Où sont-ils ? Ils pourront t'expliquer, eux.

Aeddan eut soudainement le visage triste. Sa fille venait enfin de se réveiller de sa léthargie, après plusieurs mois difficiles où elle vacillait entre l'inconscience et l'absence d'émotion. Finalement, il avait fallut la secouer, la confronter pour qu'elle s'éveille à nouveau. Il ne voulait pas la faire replonger dans une tristesse apathique.

― Papa, qu'y a-t-il ? Il leur est arrivé quelque chose ? Ils sont morts, tu m'as menti ? se mit-elle à paniquer.

― Ils vont bien, je te le promets. Seulement...

― Crache le morceau, ordonna sa fille, en proie à une angoisse grandissante.

― Tu ne pourras plus les revoir. Tu n'as plus le droit de les approcher.

― Mais... comment ça ?

― Ils ont pris des mesures... si tu te trouves dans leur territoire, ils ont les pleins pouvoirs pour t'en faire sortir. Solbritt aura même le droit de te tuer. Delyth, ma puce, bien que tu sois un Draconis tu n'es ni invulnérable, ni immortelle. Tu ne pourras plus voir les Lycanthropes.

Delyth mit un moment à réaliser ces mots. Elle ne pourra plus voir Kasper, ni Markus, ni... Faël ? Son père tournait dans la minuscule pièce comme un tigre prisonnier d'une cage. Il n'avait plus supporté de voir sa fille apathique et amorphe, maintenant il devait affronter une avalante d'émotions qu'elle peinait à maîtriser.

― Je ne comprends pas, sanglota-t-elle, nous sommes voisins... nous pourrons nous voir en dehors de leur territoire...

― Non, soupira-t-il. Ils ont interdiction de conserver leur relation avec toi. Si jamais ils désobéissent, ils seront chassés de la Meute.

Delyth réalisa ce que cela impliquait... celui qu'elle considérait comme un frère depuis tant d'années ne pourrait plus la voir ? Que choisirait-il ? La jeune femme fut un instant soulagée, Faël pourrait tout aussi bien quitter sa stupide Meute !

Pourtant, dès l'instant où cette joyeuse pensée lui traversa l'esprit elle revit l'expression de Faël. Les dernières semaines passées ensemble, il avait paru plus heureux que jamais, presque libéré d'un fardeau. Contre toute attente, il avait trouvé sa place parmi ces individus.

Delyth étouffa un terrible sanglot car elle comprit que plus rien ne sera pareil. Faël ne reviendrait pas. Jamais il ne choisirait son amie à sa famille. Et sa famille, c'était la Meute. Pas elle.

Monstres - Tome 2 : SuccubusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant