La pilote ne comprit pas tout de suite que la réunion rassemblait des officiers de Rems et de Lazarus ; quand ces derniers entrèrent, elle fut prise de panique. Déjà assise, elle cacha ses mains crispées sous la table. À tous égards, la crainte que lui inspiraient les officiers vampires était celle que l'on ressent en traversant un fantôme. Elle appréhendait ces êtres venus d'un autre monde, aux lois fort différentes de Rems, alors qu'ils ne s'intéressaient même pas à elle. Rompus par la fatigue, blessés qui de la jambe, qui du bras, qui amputé de plusieurs doigts, ils n'attendaient que de repartir de l'Indra.
Après les formalités d'usage, l'amirale Ek'tan entra dans le vif du sujet.
« Quand aurez-vous terminé sur le Triton ?
— Donnez-nous encore trois heures. Il y a eu une panne sur un transport, ça nous a ralenti. »
Mjöllnir inactif, la pilote n'avait plus aucun statut dans la flotte vampire. Jusqu'à présent, elle avait marché dans l'ombre du Grand Ivan ; elle était donc habituée à ce que des yeux se tournent dans sa direction, bien que ces regards eussent concerné plutôt le chef vampire. Les servants humains étaient des ombres interchangeables, anonymes, sans visage et sans individualité.
« Nous allons placer une bombe à hydrogène sur le Triton, annonça Ek'tan. Nous la déclencherons lorsque l'Armada sera à une distance de dix millions de kilomètres, par mesure de sécurité.
— Pourquoi ?
— Vous n'êtes pas sans ignorer que les adeptes du kaldorisme brûlent les morts. Dans la religion d'Orval, sur notre planète, on les immerge. Faute d'océan à proximité, l'équipage a voté pour la tradition kaldorienne. La procédure ordinaire suppose de descendre sur une planète avec une atmosphère et de procéder à l'édification d'un bûcher funéraire. Là encore, faute de planète à proximité, nous nous contenterons d'un bûcher nucléaire. Vous n'y voyez pas d'inconvénient ? »
Les vampires se concertèrent du regard. Ils paraissaient gênés de ne pas y avoir pensé à sa place. Se servir du Triton comme cimetière était déjà une excellente idée d'Ek'tan. Dans des environnements confinés comme leurs vaisseaux, alors qu'ils n'avaient pas même la place de soigner tous leurs blessés, il fallait se débarrasser des morts le plus vite possible.
« Aucun, dit un officier. Mais vous vous occuperez des détails techniques. Nous n'avons pas le temps de mettre en place l'explosif.
— Bien sûr. J'ai déjà affecté une équipe pour cette mission. Autre sujet : est-ce qu'il vous reste des personnes à transférer sur l'Indra ?
— Non, personne.
— Est-ce qu'il y a des personnes que vous souhaiteriez récupérer ? »
La pilote serra les poings pour ne pas trembler. Un regard s'était posé sur elle, dont elle pouvait sentir la froideur.
« C'est la pilote de Mjöllnir, n'est-ce pas ? Je croyais que vous nous l'aviez rendue.
— Personne ne nous l'a demandée. »
La pensée réductrice des vampires venait de contaminer cette réunion stratégique ; deux bords s'affrontaient désormais à coups de regards sombres, intransigeants, de froncements de sourcils. La bataille de Sol Realis avait rebattu les cartes : la survie des vampires dépendait de l'Indra. Or travailler d'égal à égal avec les humains malmenait leurs habitudes.
« Elle nous serait utile pour mieux comprendre le fonctionnement des IM. Le fait de ne pas piloter nos propres vaisseaux nous a coûté cher à Sol Realis. Si nous pouvions adapter les interfaces à nos conformations cérébrales... »
Ek'tan eut un sourire sec, confiant ; celui du fauve qui découvre ses babines.
« Je vois la chose différemment. Si vous aviez collaboré avec vos pilotes humains au lieu de les considérer encore comme vos inférieurs ; si vous les aviez éduqués au lieu de les dresser, vous auriez bénéficié d'une plus grande résilience. D'autres vaisseaux auraient pu être sauvés. »
Elle fit mine de balayer ces paroles d'un revers de la main.
« Tout ceci n'est que mon opinion, bien entendu, que je partage avec vous parce que nous sommes alliés.
— Rendez-nous la pilote, dit un vampire en bombant le torse. C'est une demande officielle.
— Pourquoi vous tournez-vous vers moi ?
— Que voulez-vous dire ?
— C'est un être humain. Elle est libre de rester sur l'Indra ou de vous suivre.
— C'est la propriété d'Ivan, donc de la Flotte de Lazarus. »
Ek'tan hocha la tête.
« Pas ici. Je vous défends de prononcer de tels mots sur mon vaisseau, commandant. Car ce vaisseau appartient à Stella Rems. Ici, nous sommes sur Stella Rems. Ici, cette femme est libre et elle est votre égale. »
Les officiers réévaluèrent leurs chances, ils optèrent pour un retrait passif de leurs exigences.
« Certains usages de votre monde me répugnent, engagea Ek'tan. De mon point de vue, vous vivez dans une société sclérosée, un vieil empire mourant. Il paraît que le Grand Ivan s'était fait l'écho, autrefois, de l'abolition du servage ! La fin de l'esclavage des humains ! Assurément, quel progressisme révolutionnaire. Mais vous n'avez rien à craindre de moi. Je récuse votre manière d'être, mais ce n'est pas à moi de changer Lazarus. Du reste, l'histoire est ironique. Il y a vingt-quatre heures, vous étiez les plus puissants de l'Omnimonde ; en une heure, vous êtes devenus si faibles que vous avez laissé la place à une femme venue d'un monde humain. Vous préférez me laisser porter le poids de votre échec. Cela en dit tellement sur vous. »
La porte de la salle était restée ouverte ; ces derniers temps, la zone d'habitation de l'Indra ne formait plus qu'un espace connexe, à l'exception des infirmeries surpeuplées placées en isolement. Deux personnes en tenue de travail entrèrent sans frapper et s'assirent aux places vacantes ; un homme portant des lunettes, qui se mit à les essuyer avec la manche de sa veste, et une femme au teint plus clair qu'Ek'tan, dont le visage portait des traces de suie.
« Pour ceux qui ne les ont pas rencontrés, voici monsieur Garrison, ambassadeur, correspondant de la Terre et mon conseiller diplomatique, et l'ingénieure-major Sahir, ma conseillère technique » présenta hâtivement l'amirale.
Garrison parlait désormais un très bon latin, enrichi des idiomes remsiens les plus courants. Affecté à des tâches de maintenance technique, il avait abandonné son costume trois-pièces. Il faisait partie du décor, comme une seiche indissociable du fond sablonneux où elle s'est enfouie.
« Monsieur Garrison, dit l'officier vampire. Avez-vous obtenu des nouvelles de la Terre ?
— Selon la position relative des balises du réseau Proxima, la distance effective entre ce système et ma planète peut varier du simple au double. Il est possible que mon message ne leur soit pas encore parvenu. Quant à vous, vous avez contacté Lazarus, n'est-ce pas ? Que vous a dit la reine Arcana ?
— Nous devons poursuivre le combat » dit le vampire sur un ton monocorde.
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Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleil
FantasyL'Armada a été vaincue. Les derniers survivants font route vers Stella Rems, dans l'espoir de reconstituer leur flotte, mais ils ne sont pas certains d'y parvenir. En la bibliothèque universelle de Caelus, Christophe-Nolim rumine son échec. Le dévor...