22. Le don

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Ami, viens, je t'invite
En un lieu singulier.
Tu le reconnaîtras
Sans jamais l'avoir vu.

C'est par-delà le vide,
Et le vertige de l'existence,
Un rivage éthéré,
Où tous nos rêves sont venus s'échouer.

Anonyme


Assis sur le sable aux cristaux bleutés, entre l'océan ombrageux et le phare de Caelus, Christophe et Aléane formaient un étrange duo. Elle attendait qu'il lui parle. Il n'osait pas lui parler. Écho se situait entre eux deux, forme interstitielle, silhouette d'Arcs silencieuse formée de vide, découpée au ciseau dans la trame de l'univers.

Tout à coup, comme si elle avait voulu se cacher de quelque chose, Aléane fit un geste de la main. Écho lui répondit d'un geste parallèle. Elle se leva d'un bond, fit un tour sur elle-même ; Écho reprodusiit son mouvement. Le regard empreint de sérieux, Aléane se mit à danser, sans ordre et sans tempo, dans la plus pure spontanéité.

« Regarde, lui ordonna-t-elle. C'est moi. »

Elle avait raison. Écho était une émanation de Christophe, une association de rêves, le tracé imparfait de la forme d'Aléane, à partir de toutes les incarnations qui lui avaient échappé. C'était sa forme duale, l'envers de son être. Et Écho appartenait aussi à Aléane ! Toutes deux se connectaient comme les deux faces d'une pièce, les deux pôles d'un aimant.

Que suis-je censé faire ? se demanda Christophe.

Il se leva à son tour et ouvrit le bras comme un salut d'escrime. Écho se tourna vers lui et reproduisit son geste. Il fit un bond vers elle, leva les bras comme s'il s'agissait de lames, et rencontra une parade symétrique. C'était un duel contre lui-même, qui ne pouvait donc mener à rien, sinon à une forme de grâce.

Aléane entra dans le duopole. Sans cesse, elle ramenait Écho à elle, la renvoyait sur Christophe, jouait de cette marionnette qui se situait à mi-chemin de leurs esprits. Ce faisant, ils se rapprochaient, et Christophe apercevait les contours de ses pensées, tandis qu'elle rebondissait contre les siennes, et que par un effet de miroir, il se voyait dans ses reflets.

Leurs âmes vibraient ensemble comme deux hirondelles qui recherchent l'unisson ; le filament subtil de Nolim, le nom qui était leur propriété commune, apparaissait en filigrane de leur danse. Il était encore trop faible pour les réunir. Alors, ils demeurèrent à distance, ne se rapprochant qu'à intervalles apériodiques, tels deux bretteurs attentifs.

Christophe savait ce qu'elle faisait. Elle lui montrait qu'elle portait bien le nom d'Aléane, qu'Écho, cet intermédiaire, était aussi sa propriété.

Le sable soulevé par leurs pas ne retomba pas au sol, car l'air était saturé d'Arcs modifiant les cours habituels du mouvement, comme des fleuves détournés ; ils sautaient sur des coussins d'air et s'accrochaient aux mailles de l'espace. Ils détournaient la lumière, qui voguait avec eux en traînes de lucioles, et faisaient naître des inclusions dans le rêve de Caelus, de sorte qu'ils voyagèrent loin sans bouger d'un mètre.

Écho cheminait de l'un à l'autre, capturée par leurs mouvements, s'imprégnant tantôt des pensées de Christophe, tantôt d'Aléane. Elle devint leur messager.

Le temps passant, l'esprit d'Aléane entra dans son champ de perception. Il reconnut la plaine sèche de ses rêves, couverte de poussière rouge. Il aperçut les socles des statues qui racontaient son histoire ; mais aucune n'était en place, car Aléane ne disposait encore d'aucun souvenir de ses existences passées.

Il voulut aller plus loin, tendre la main jusqu'à descendre dans son âme. La poussière rouge couvrit son visage, entra par ses narines, brûla ses poumons. Aléane n'était pas seulement une séquence linéaire de passages ; elle était un arbre qui soutenait l'univers, tel l'Yggdrasil de la légende. Il plongeait à la racine de cet arbre pour en percer l'ultime secret.

Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant