8. Un vaisseau sans pilote

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Une petite navette vampire était accrochée sur la coque de Mjöllnir. Les remsiens l'aperçurent de loin ; la présence de cette petite pustule en brisait l'harmonie.

« Ils essaient de creuser un accès » dit le docteur Jin.

Cela semblait lui faire aussi mal au cœur qu'à elle, la pilote du vaisseau. Jin soupira. Un petit bonhomme grisâtre sortait de la navette et se mit à traîner un étui de la taille d'un fusil de chasse, sans doute un outil de découpe.

« C'est vrai que nous n'avons pas beaucoup de temps pour choisir, reprit le scientifique remsien. Mais je les trouve un peu pressés. Comme si nous étions en mesure de nous approprier les technologies de ce vaisseau ! »

Une secousse passagère parcourut l'habitacle et ils furent tirés en avant par la décélération de la navette. Un microdébris, sans doute produit par le démantèlement du Triton, s'écrasa sur la vitre avec un bruit mat, comme un moustique sur l'autoroute.

« Certes, c'est ce que nous avons fait avec les vaisseaux de l'ancienne Armada. Nous avons exploré les épaves coulées au fond de nos océans, nous avons reproduit leurs systèmes ; en reprenant les mêmes chemins, nous avons gagné des décennies. Mais il nous a fallu des années. La moindre erreur pouvait être fatale. N'ont-ils pas appris de leurs Interfaces Mentales ?

— Et là, dit la pilote en désignant du doigt le lieu de forage, qu'est-ce qu'ils veulent ?

— Les générateurs de champ. Et peut-être le réacteur qui les alimente. Nous n'avons pas trouvé d'accès à ces systèmes depuis la zone de vie de Mjöllnir. Sur nos échographies, le vaisseau ne comporte que des conduits d'un demi-mètre de largeur. Je pense qu'ils servent à des robots de maintenance. Quant à la partie accessible, nous la connaissons : c'est la coursive périphérique, les coursives internes, quelques salles vide, le Narthex. En fait, c'est comme si ce vaisseau n'avait jamais été utilisé.

— Peut-être qu'il n'avait pas besoin de pilote.

— Peut-être... vous avez raison. C'est une idée remarquable. Tout un vaisseau... sans pilote... »

Cette révélation sembla le laisser songeur. Le docteur Jin n'avait qu'un seul titre de docteur, mais il était spécialiste dans de nombreux domaines, de la mécanique céleste à l'architecture des vaisseaux spatiaux, en passant par les matériaux et leurs déformations sous contraintes. Il avait participé au dessin des plans de l'Indra. Il savait quel défi représente le maintien d'un équipage dans l'espace, qu'il s'agît d'un aller-retour de six mois ou d'une hibernation de dix ans. Un être humain respire, boit, mange toutes les six heures ; pire encore, c'est un être social, qui ne supporte ni la solitude, ni l'excès de compagnie de ses semblables, qui a besoin d'espace et qui refuse d'être enfermé ! Tout cela représentait une somme de défis considérable.

Mais l'idée d'un appareil autonome, libre de toute décision humaine, ne l'avait jamais effleuré.

« Sans pilote » répéta-t-il à voix basse, estomaqué, quand le sas de connexion émit son grincement métallique.

Le long de la coursive menant au Narthex, les remsiens avaient collé sur les murs une série de lampes fluorescentes, qui formaient comme une balustrade les séparant du néant. Le vaisseau étant éteint, son atmosphère n'était plus renouvelée ; il y régnait déjà une puanteur de cave renfermée, avec des relents d'hydrocarbures et de sulfure d'hydrogène. La pilote eut une vision étourdissante : Mjöllnir pourrissait et des miasmes benzéniques remontaient de ses entrailles en putréfaction.

« Sans pilote, lança Jin, dont le visage se mêlait à la pénombre. Est-ce à dire que Mjöllnir se dirige tout seul ?

— Il y a...

— Ne dites rien si vous n'en n'avez pas envie. De toute façon, personne ne peut prétendre faire marcher ce vaisseau à votre place. »

Il s'agrippa à une colonne pour se redresser, car ils flottaient toujours ; il fit mine de toquer sur le métal du dos de la main.

« Vous savez, j'ai bien étudié les technologies de l'Armada Magna. Ces vaisseaux avaient deux mille ans ; ils avaient été bâtis par nos ancêtres ; et quelque part dans la légende, on en trouvait la trace. Mais Mjöllnir va bien plus loin. Il a bien plus que deux mille ans. Il n'a pas participé à l'Armada. C'est un vestige d'un passé vertigineux, antérieur à notre histoire moderne, et je crois, antérieur à nos dieux. »

Il soupira.

« C'est un crève-cœur de devoir l'abandonner ainsi.

— Docteur Jin ?

— Oui ?

— Merci d'avoir autorisé cette mission. »

Ils entèrent dans le Narthex. Les écrans installés par les vampires luisaient dans la pénombre. Des câbles pendaient entre le sol et le plafond, tels les tiges frémissantes de plantes carnivores. Jin se prit les pieds dans ces lianes et dut les trancher au canif.

« De toute façon, nous sommes obligés de nous relayer ici. L'amirale craint que les vampires ne gardent tout pour eux.

— Je vais tout vous dire. Le vaisseau a un système de contrôle, comme une intelligence interne. Elle se nomme Fréya. Je suis venue pour essayer de lui parler. »

Jin fronça les sourcils, mais ne parut pas vraiment surpris, bien moins que face à la beauté conceptuelle du vaisseau sans pilote.

« Elle porte un nom, qui n'est pas celui du vaisseau. Dans ce cas, est-ce le vaisseau ? On pourrait prendre un cerveau humain et le plonger dans une Interface Mentale. C'est peut-être son cas.

— Je crois que c'est le cas. Mais Fréya ne peut rien faire sans moi ; elle veut que je lui donne des ordres.

— Pour faire une arme à partir d'un esprit humain, il faudrait mettre un verrou sur ses mécanismes de décision. Donc Fréya agirait sur ordre, mais ne pourrait rien faire sans ordre... c'est concevable. Mais en théorie... oh, si l'on m'entendait à Rems, on m'enlèverait mon doctorat... »

Trop occupé à réfléchir à voix haute en tournant autour de la structure centrale du Narthex, il ne remarqua pas que la pilote s'approchait du sarcophage.

Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant