La sonnerie du palier réveilla Christophe en sursaut.
Un accord dissonant, comme une protestation véhémente, traversa son piano quand il prit appui sur les touches pour se relever. Il manqua de trébucher sur les partitions réparties dans son appartement en empilements compacts, chercha la clé sans même vérifier qui venait le visiter.
Un bocal était posé sur le meuble à chaussures de l'entrée ; dans ce bocal, un poisson rouge, Socrate, qui le fixa d'un air philosophe, avant de faire un tour sur lui-même.
Christophe avait mal à la tête et mal à la main droite, sans doute un début d'inflammation. Il avait trop joué la veille, trop longtemps cherché dans sa mémoire les ultimes notes de sa partition ; des notes qu'il écrivait sans cesse et qui ne cessaient de disparaître.
« Oh, bonjour, Lilith.
— Bonjour. Je suis venue vous apporter quelque chose. Est-ce que je peux entrer ?
— Je n'attendais personne... ne faites pas attention au désordre. »
Il tira deux chaises parmi les flots de papier, lui en tendit une. Christophe n'était pas surpris de l'apparence de Lilith, ni de ses cheveux blancs, ni de ses cornes, ni de sa peau cramoisie, encore moins de ses mains à six doigts – sans parler de ses yeux aux pupilles trop larges. Elle ne pouvait pas lui paraître étrangère, puisqu'il l'avait déjà rencontrée.
« Voulez-vous quelque chose ? proposa-t-il. Un thé ? »
Il découvrit alors l'absence de cuisine, car ce lieu se réduisait à une pièce blanche sans fenêtre, un piano et des montagnes de papier. Lilith eut un sourire compatissant. Ils s'assirent tous les deux.
« Pensez-vous qu'il existe un nom pour cela ? demanda-t-elle en regardant la partition en évidence sur le piano, dont les portées manuscrites s'arrêtaient, abruptes, sur une page blanche intimidante.
— Pour ?
— Le fait de rechercher quelque chose qu'on ne peut pas trouver, qui n'existe pas. Volontairement, je veux dire.
— Le fait de choisir la mauvaise direction ?
— Ou plutôt, le mauvais objectif. Le fait de pointer l'horizon du doigt et de dire chaque jour : demain, j'atteindrai l'horizon.
— J'appellerais cela l'amour, dit-il avec ironie.
— Mais l'amour existe, vous en êtes un fabuleux exemple. »
Lilith ferma à demi les yeux. Elle tenait entre les mains une enveloppe sans nom et sans timbre, qu'elle manipulait au gré de ses hésitations.
« J'ai fait un rêve étonnant, dit Christophe. J'ai rêvé que je mangeais une étoile.
— Oh ? Que s'est-il passé ensuite ?
— Je crois qu'il ne s'est rien passé. Le rêve s'est arrêté. Je suis revenu ici, je dois terminer la partition. Chaque fois que je crois être arrivé au bout, il me manque quelque chose. Je dois revenir tout le temps en arrière. Je ne cesse de faire des erreurs. »
Elle écouta tout cela avec patience, hochant la tête à chaque phrase.
« Comment s'appelle le morceau ? demanda-t-elle doucement.
— Bonne question. Le Plan, je crois.
— De qui est ce Plan ?
— D'un dieu, peut-être.
— De quel dieu ?
— Celui que vous voulez. »
Un peu surprise par ses paroles, Lilith lui montra l'enveloppe.
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Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleil
FantasyL'Armada a été vaincue. Les derniers survivants font route vers Stella Rems, dans l'espoir de reconstituer leur flotte, mais ils ne sont pas certains d'y parvenir. En la bibliothèque universelle de Caelus, Christophe-Nolim rumine son échec. Le dévor...