Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleil

50. Le sanctuaire des étoiles

Le cœur d'Hélios lui parut vide, comme une cathédrale sans fidèles. Là encore, Christophe essaya de s'élever au-dessus du sol, mais la physique du rêve fut plus forte que lui. Elle faisait pression sur ses épaules, tandis que l'air brûlant le prenait en étau. Ses premiers pas furent difficiles.

La voûte de ce caveau, distante de dizaines de mètres, ruisselait de flammes. Tout ce lieu était construit en un laiton luisant. Ses bottes de cuir fondaient à son contact et y collaient. Il monta un large escalier ; ses pieds écrasèrent des cendres. Quelqu'un l'avait peut-être précédé ici. Christophe s'arrêta ensuite sur une plate-forme circulaire, elle aussi vide, à l'exception de flambeaux permanents.

« Elles m'appellent... le Temps... le Temps qui nous menace tous... je dois faire quelque chose. »

Comme il était à l'intérieur de son esprit, Ikar parlait et pensait en même temps, et ses mots franchissaient l'espace pour parvenir jusqu'à lui. Christophe balaya du regard cet assemblage confus de passerelles et d'escaliers. La silhouette d'Ikar lui apparut au loin, qui marchait vers une des étoiles de sa collection.

Elles étaient placées chacune en un point culminant. Cette salle n'avait aucune frontière, car elle ne cesserait de s'étendre ; les passerelles croîtraient comme un réseau végétal, pour inclure tous les nouveaux globes lumineux.

À l'endroit où arrivait Ikar, un escalier était encore en train de croître. Sol Perago, sans doute, petite balle d'un mètre de diamètre, faite de plasma, enfermée sous une coque de verre. Ikar caressa la surface de sa main griffue, cherchant à apaiser sa nouvelle acquisition.

« Ne crains rien, dit-il. Tu es ici parmi tes frères. Mais dis-moi, de quoi as-tu peur ? »

L'homme à la peau rouge tourna brièvement la tête dans la direction de Christophe, qui bondit vers un point plus bas pour échapper à son regard. Au contact du sol, sa cape manqua de prendre feu ; il étouffa les flammèches naissantes, dont la fumée risquait de le trahir.

« Je sais que tu es là ! » cria Ikar.

Les étoiles le savaient aussi, qui secouaient leurs chaînes invisibles. Au contact d'Ikar, leur gardien et leur maître, leurs âmes stellaires avaient acquis des pensées, des sentiments presque humains. Alors qu'elles n'étaient jusqu'à présent que l'accrétion de légendes, de croyances, de rituels, elles avaient acquis une volonté. Certaines étaient les cerbères d'Hélios, sa meute de hyènes prêtes à servir ses projets ; d'autres étaient des rebelles qui luttaient contre leur prison.

Christophe sentit que ces esprits cheminaient autour de lui, que des traînées d'Arcs reniflaient sa présence, remontaient le long des escaliers, regardaient sur et au-dessous des passerelles perchées dans le vide.

« Sais-tu ce que c'est ? lança Ikar, nimbé de lueurs rougissantes. Sais-tu ce qu'est la fusion entre un homme et une étoile ? C'est une souffrance que tu ne peux imaginer. Tu t'imagines sans doute que la mort d'Aléane, la mort perpétuelle d'Aléane, te torture. Mais tu ne sais rien de cela ! De toutes les choses de ce monde, de tous les êtres qui sont né et qui naîtront dans cet univers, je suis celui qui a le plus souffert. Et j'étais prêt à endurer ce sacrifice. Pour tous. Pour toi. Pour elle. »

Il agita son bâton de combat, dont les lames brillaient, comme de lave elle-mêmes.

« Rejoins-moi, Christophe ! Je te la ramènerai. Dans mon nouvel univers, elle ne mourra jamais plus sous tes yeux. J'arrêterai la roue du temps, et je la sortirai de cette roue. Elle mérite amplement de rejoindre mon paradis éternel. »

Chaque fois qu'il mentionnait Aléane, Christophe pensait à elle. Aléane n'était pas de la race des tyrans. Ses actes étaient motivés par la justice et la vérité. Et ni la justice, ni la vérité ne pouvaient faiblir. Elles ne pouvaient pas disparaître.

Hela, songea-t-il. Où est Hela ?

Perdu dans le dédale, il remonta un escalier. Une bouffée de vapeur brûlante manqua de le jeter par-dessus la passerelle. Suffoquant, il regarda de nouveau aux alentours. Ikar l'aperçut, pointa son bras dans sa direction, comme une malédiction.

« Te voilà ! »

Hela, pensa Christophe. Qui est Hela ? Laquelle de ces étoiles ? Elles se ressemblaient toutes pour lui ; il ne pouvait pas lire leurs noms !

La solution était pourtant évidente.

Hela se trouvait au centre du sanctuaire. Elle en était l'origine. La toute première étoile sur laquelle s'était construit Hélios.

Christophe bondit sur une passerelle deux mètres plus bas et manqua de rouler dans le vide. À peine remis sur pieds, il se mit à courir, car Ikar avançait vers lui. Le pont se déroula jusqu'au globe central, une sphère de verre encerclée d'anneaux dorés marquant d'étranges latitudes, à l'intérieur de laquelle brillait une étoile bleue de la taille d'une pomme.

Après deux mille ans de captivité, deux mille ans passés sous le règne du dieu-soleil, Hela était pratiquement dissoute. Endormie, elle n'émettait aucune pensée perceptible.

« Qu'est-ce que tu veux ? s'étonna Ikar. Veux-tu la libérer ? Il est trop tard, beaucoup trop tard.

— Je vais lui rendre son nom, déclara Christophe.

— Et ensuite ?

— Ensuite, nous verrons. »

Arrivé à sa hauteur, Ikar joua avec son bâton de combat.

« Tu aimerais avoir une arme, pas vrai ? Tu en aurais besoin pour briser ce verre. J'étais un mage d'Arcs comme toi. Moi aussi, je créais tout ce dont j'avais envie. Mais je suis allé plus loin que toi. Je savais protéger ce qui m'était cher. Aléane ne serait jamais morte sous mes yeux.

— Pourtant, tu es mort toi-même, et tu ne t'en es pas encore rendu compte. »

Ikar fit tournoyer le bâton dans sa direction ; la lame rougeoyante fendit l'air et manqua sa gorge d'un doigt, frappant l'aquarium qui se trouvait derrière lui. Des failles coururent sur sa surface ; avant qu'Ikar n'eût pu en extraire sa lame, Christophe écrasa son poing dans le verre et libéra Hela.

La petite étoile resta sagement en place, à croire que tout ceci n'avait été qu'un leurre, qu'elle n'était pas de son côté ; résolu à tout tenter, Christophe referma sa main sur elle et devint, à son tour, un dévoreur d'étoiles.