34. Garuda II

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Kaldor vaincu, l'Armada en fuite, qui restait-il donc pour élaborer un plan infaillible ? Moi-même, Adrian von Zögarn, ainsi que mon ami Socrate le mouton.

Adrian von Zögarn, Histoire de la grande guerre et du rôle mineur que j'y ai joué (avec une annexe de bonnes blagues à raconter quand vous êtes coincé sur un vaisseau spatial)


Le plus sagace des historiens aurait donc remarqué que l'Armada Magna fut sans doute sauvée par une tourte au fromage.

Le capitaine Reg n'alla pas jusqu'à cette déduction, car durant l'intégralité de son voyage hors de Neredia, il s'inquiéterait, à juste titre, pour sa propre sécurité.

Ils avaient effectivement trouvé le Garuda II deux semaines plus tôt, en fouillant dans les installations abandonnées par l'armée de l'Imperatrix. Ce vaisseau de taille modeste, bien plus petit que son grand frère écrasé aux abords d'Amor, paraissait plus avancé, plus fin, plus agile. Mais les ingénieurs et les ouvriers de l'Imperatrix s'étaient évanouis dans la nature, sitôt son rêve d'empire fracassé par Aléane, et personne ne savait comment faire démarrer ce gros bourdon endormi sous des bâches grises.

« C'est fantastique » clama Adrian en posant le pied dans l'entrepôt.

À l'instar de son mouton, il mâchonnait un brin d'herbe, qui menaçait de rester coincé dans sa moustache. Ils se trouvaient à mille lieues d'Amor. Pour se rendre ici dans les temps, il avait fallu quérir un aérostat, mode de transport si moderne que Reg n'en connaissait même pas l'existence. Le pilote lui avait paru aussi fou qu'Adrian ; tout le long du trajet, entre deux rasades d'alcool « fait maison », il avait relaté les nombreuses fois où son prototype s'était abîmé dans l'océan, fracassé contre une montagne, ou que le ballon avait éclaté à cause de l'altitude, exhibant des cicatrices indiscrètes qui attestaient des faits.

« C'est un miracle que cet engin vole, avait déclaré Adrian avec un grand sourire. Voilà bien la preuve que les dieux sont avec nous. »

Le capitaine Reg, lui, se sentait abandonné. Quant au mouton placide, plongé dans une torpeur passive-agressive, inattentif aux compliments qu'Adrian abondait sans cesse quant à son intelligence, il n'apportait aucun réconfort.

« C'est fantastique, ajouta l'alchimiste pour enfoncer le clou. C'est exactement ce dont nous avons besoin. Et vous dites qu'il a six mois d'autonomie en dioxygène ? C'est largement ce qu'il nous faut ! »

Le soldat d'Amor qui gardait l'entrepôt et les registres, seul à son poste depuis des semaines en attendant la relève, se dandina comme s'il craignait d'en avoir trop dit.

« Ça doit faire combien ? renchérit Adrian. Cent tonnes de dioxygène liquide ?

— Cent cinquante.

— Fabuleux ! Remercions feu la déesse Justitia de nous avoir légué ce pactole. Venez, capitaine, il nous faut décoller sans plus attendre.

— Personne n'a réussi à mettre en route ce vaisseau, protesta Reg.

— Oh, je sais. Il vous manque la source d'énergie. Cet engin a un réacteur non-standard, et le seul cœur dont disposait Justitia s'est écrasé avec le Garuda. Heureusement, il se trouve que par le plus grand des hasards, j'en ai ramassé un dans une épave, en me promenant sur Tschnit'... Tscha... enfin, la planète où j'ai rencontré Socrate le mouton. »

Ledit mouton parut confirmer la remarque d'un bêlement, puis il se mit à renifler la dalle de béton à la recherche de jeunes pousses.

Comment cet homme pouvait-il encore croire au hasard ?

Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant