39. Ce rêve commun

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N'en doutez pas, le paradis existe. Mais c'est un lieu qui se déplace dans le temps et l'espace.

Certains s'installent quelque part et attendent qu'il vienne à eux. Ce sont des hommes patients ; vous ne connaissez qu'eux. Tous les matins, en ouvrant les yeux, ils regardent les rayons qui filtrent de leurs volets ; tous les soirs ils observent la chute du soleil ; chaque fois, ils attendent avec espoir que la lumière du paradis, reconnaissable entre toutes, leur apparaisse et confirme sa venue.

D'autres le poursuivent toute leur vie. Ce sont d'infatigables voyageurs ; vous avez sans doute entendu parler de leurs aventures, mais vous ne les avez jamais rencontrés. Ils entrent dans les auberges à la toute fin du service, dînent d'un fond de soupe froid, le regard vague ; ils montent à l'aube sur leurs chevaux fourbus.

Les vies des uns et des autres sont différentes, pourtant leur philosophie est semblable. L'œil rivé sur l'horizon, ils pensent que le paradis se trouve de l'autre côté ; les uns croient qu'il vient vers eux, et que l'écho des angelots sonnant du cor retentira bientôt sous leurs fenêtres ; les autres pensent qu'il s'éloigne et qu'il faut le poursuivre.

On admire leur patience, leur énergie, on fait l'élégie des uns et on chante l'épopée des autres. Mais peut-être qu'ils ont tous tort, qu'ils regardaient trop loin, et que notre paradis n'est pas aussi vague et distant qu'ils le croyaient. Peut-être qu'il se trouve toujours à portée de main, et que si nous essayons de le reconnaître, nous le verrons à côté de nous.

Parole du Grand Sage Outa-Napishtim (apocryphe)


« Quelle arme ? demanda l'amirale Ek'tan.

— Pas besoin d'arme ! » Claironna le docteur Jin.

Torse nu et sans chaussures, vêtu d'un simple pantalon d'uniforme, il attendait Garrison au milieu des tapis, bras croisé en signe d'impatience.

« Tu t'imagines me connaître, hein ? Mais tu ne me connais pas ! Lança-t-il en se frappant la poitrine. Je suis là pour défendre ma grande famille, au nom de mes sœurs, de mes pères, et de mes ancêtres ! »

Garrison enleva sa chemise à son tour, et passa des lanières de lutteur autour de ses doigts. À mesure que leur duel approchait, il en oubliait qu'il ne s'agissait que d'un jeu. La présence insistante des membres d'équipage, petite foule murmurante, le visage inflexible de leur arbitre Ek'tan, ainsi que d'Ivan, tel un invité de marque venu assister aux joutes, faisait basculer le théâtre dans le réel.

Aurora Sahir se trouvait de l'autre côté de la salle, en face de l'arbitre.

« N'y a-t-il pas moyen d'éviter le duel ? proposa Ivan, qui se prêtait au jeu.

— Aucun, dit Ek'tan en hochant la tête d'un air peiné.

— L'un d'eux doit-il mourir ?

— Ce n'est pas nécessaire.

— Ha ! clama Jin. Je n'ai pas besoin de tuer ! Quand il appellera sa maman à l'aide, vous verrez bien qu'il n'est pas fait du même bois que nous. »

Comme il avait posé le pied sur les tapis de chanvre, le docteur Jin se rua sur lui avec un grognement d'hippopotame en charge. Garrison l'évita. S'il recommençait trois ou quatre fois ainsi, le docteur pourrait feindre la fatigue ; ils en viendraient aux mains, puis au sol, et Garrison l'achèverait avec une clé au bras.

Ce plan tomba à l'eau dès le deuxième assaut ; Jin lança son bras en un crochet du droit imprévu. En essayant de l'arrêter, Garrison se cogna sur sa propre main ; il sentit une vibration remonter dans sa mâchoire et secouer son crâne. La salle d'entraînement se mit à tanguer autour de lui.

Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant