53. Hélios intemporel

10 6 0
                                    


Qu'est-ce que le « commencement » du Temps ?

C'est là où le Temps prend sa source.

Des alchimistes qui ont un peu forcé sur la liqueur de poire postulent qu'il s'agit d'un lieu bien déterminé de l'univers, que l'on nomme l'Hypothèse, ou la Source du Temps.

Le Temps s'écoulerait donc de la Source à travers tout l'univers, pour venir se diluer dans les rêves, ou sur la frontière d'un trou noir.

Adrian von Zögarn, Histoire de l'alchimie


Ikar tomba lui aussi sur le disque de métal, sur ce dernier promontoire avant le précipice, d'où Christophe observait l'œil du titan cosmique.

« Ils sont à moi ! » clama-t-il.

Tout ce qu'il avait d'humain avait maintenant été consumé. Sa forme astrale n'était plus qu'une coquille occupée par les dernières flammes d'Hélios, qui jaillissaient de sa bouche, de ses narines, de ses yeux comme les sentinelles d'un nid de serpents.

« Les fleuves du Temps... sont à moi...

— Qui es-tu ? » demanda Christophe.

Une corolle de lances transparentes apparut autour de lui, autant de lames qu'il maîtrisait par le biais des Arcs. Il avait repris la pleine mesure de ses pouvoirs. Hélios, dont la peau rougeâtre se calcinait sur place en copeaux de charbon, qui titubait, toussait et crachait des flammes rouges, n'était plus que l'ombre de lui-même.

« Je suis venu apporter la division entre les mondes... je suis venu... je veux...

— Tu veux manger les étoiles ? se moqua Christophe en désignant l'œil noir au-dessus d'eux. Voilà un véritable dévoreur d'étoiles.

— Ce n'est pas cela... je veux... renverser le Temps ! »

Sa voix grandit en cri de rage. Une rivière de ces Arcs bleuis passait à portée de mains ; il écrasa ses poings sur elle pour en dévier la course. Et Hélios, premier des dieux à tenter cette entreprise périlleuse, changea le cours du temps.

Mais le Temps ne se laissa pas prendre, et bien moins que de changer lui-même, il se retourna contre lui. La rivière entra dans ses mains, fit fondre ses doigts et ses poignets, nettoya les flammes qui rôtissaient l'intérieur de sa carcasse, tourbillonna dans sa poitrine, remonta dans sa gorge, lui arrachant un cri qui résonnerait encore des siècles parmi les étoiles. Hélios cracha le temps par sa bouche tordue, qui déformait son visage, et finalement, il explosa.

Quelques copeaux de charbon s'envolèrent.

À sa grande surprise, Christophe vit Hélios se reformer.

Une forme humaine se tissa de bandelettes indigo, comme des flammes éteintes qui continuaient de flotter dans le vide spatial. Il n'avait plus d'yeux, plus de visage, mais il voyait néanmoins ; il amena ses mains devant lui, fit jouer ses six doigts nébuleux.

Quand sa voix, quand les vibrations de sa pensée parvinrent à Christophe, elles étaient déformées, indéchiffrable message d'un autre univers, d'une autre réalité. Car le Temps tournoyait encore à l'intérieur de ce corps meurtri, mais de manière chaotique. Deux événements séquentiels pouvaient lui paraître simultanés, et l'inverse.

Christophe sentit une vibration dans la maille d'Arcs de l'espace ; il dépensa la moitié de ses armes d'air pour bloquer Hélios, qui l'attaquait de dos, alors qu'il n'avait pas encore bougé.

« Eh bien, voilà, tu as eu ce que tu voulais. »

La seconde forme du dieu-soleil s'évapora ; une troisième surgit au-dessus de Christophe, qui dut bondir pour l'éviter. Le disque de métal fut fracassé ; leur duel gagna la troisième dimension. Hélios ne cessait d'aller et venir comme s'il traçait des torsions d'Arcs, mais sans les effets secondaires, car il traversait le Temps. En retour, il prévoyait certaines des ripostes de Christophe, il conspirait avec ses itérations passées et futures, qui ne cessaient de se dédoubler et de s'évanouir aussitôt.

Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant