Il croit que tout ce qu'il détruit, il le possède.
Kaldor, Principes
« Ô temps, ô dieux, ô mortels, mettons fin à cette comédie. »
Ikar claqua des doigts ; un bâton de combat, fait d'un bois sec, pourvu de deux lames dentées, rejoignit sa paume. Les invités de sa table l'imitèrent avec des gestes imparfaits, saccadés, comme ceux de marionnettes que l'on déplace, image par image, pour donner l'illusion du mouvement. Kaldor tourna son masque inexpressif vers eux ; un bras armé émergea de sa robe, dont la main avait été sectionnée et remplacée par une lame de fer rouillée. Sans émettre aucun son, il fit quelques pas irréguliers vers Aléane, agita la tête comme s'il était bâillonné et essayait de dire quelque chose, puis chuta en avant sans la toucher.
Comme ils ne pouvaient faire usage de magie d'Arcs, selon les lois de ce rêve, Aléane eut le réflexe d'écraser ce bras sans chair pour le briser ; elle se saisit de l'épée misérable de Kaldor et repoussa le trident du dieu Vern.
Sa tête pendait sur le côté, ses yeux morts ne la regardaient pas, mais il la força à reculer. Aléane dégagea sa lame de la pointe du trident, esquiva le coup qui aurait dû l'embrocher, changea de main, passa l'épée sous le bras de Vern et frappa son torse de biais. Son bras armé se détacha piteusement ; une fumée sans consistance coulait de l'ouverture. Christophe attrapa le trident et ils se mirent dos à dos, encerclés par les Dragons.
Maître de cérémonie, Ikar observait en silence et comptait les points. Il ne souhaitait pas intervenir.
Celui avec lequel Zara avait partagé la symbiose, dont le cristal bleuté tranchait avec la pierre volcanique des Sermanéens, se désolidarisa d'eux. Ses bras se déployèrent en filaments transparents, comme un nid de serpents, car il était une armée à lui tout seul. Christophe se servit de l'allonge du trident pour les garder à distance ; Aléane traversa ce champ libre, comme une flèche, remonta vers le dragon ; son regard croisa l'ovale bleu clair. Le dragon ne lui dit rien. Il était déjà parti depuis longtemps. Alors la lame de fer traversa cette forme astrale, l'être s'effondra en masse gélatineuse, puis liquide.
« Ils m'appellent » dit Ikar à mi-voix, en détournant son regard.
Il s'en alla en direction du soleil ; au bout de quelques pas à peine, la lumière enveloppa sa silhouette, comme s'il prenait feu. Il ne resta qu'une ombre persistante, comme une poignée de cendres fixées dans l'air.
Il fallait le suivre, mais les Sermanéens leur barraient la route.
De toute la collection d'Ikar, ils étaient les plus puissants et les plus transis de colère. Cette colère avait infusé dans l'esprit d'Hélios, elle en était la source ; car si le jeune Ikar lui-même ne gardait aucune rancœur envers l'univers, les Sermanéens voulaient tout détruire pour leur seul bénéfice. Tout détruire et tout recommencer ! Ils avaient eu ce projet, ils l'avaient repoussé sans cesse ; le Temps avait frappé à leurs portes, et le Temps avait eu raison d'eux.
Comment un homme seul, même un mage d'Arcs, a-t-il vaincu ses dieux ?
Christophe se posa la question plusieurs fois, tandis que le cercle se refermait sur lui et Aléane.
Comment Ikar avait-il battu les Sermanéens, seul contre...
Contre une fratrie incomplète, amputée d'un des leurs.
Aléane comprit en même temps que lui ; elle sortit du cercle où les Sermanéens souhaitaient les confiner. Leurs bras menaçants, leurs griffes de pierre fendirent l'air.
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Nolim III : Les Trois Noms du dieu-soleil
FantasiL'Armada a été vaincue. Les derniers survivants font route vers Stella Rems, dans l'espoir de reconstituer leur flotte, mais ils ne sont pas certains d'y parvenir. En la bibliothèque universelle de Caelus, Christophe-Nolim rumine son échec. Le dévor...