Deuxième nuit

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Alors que le soleil ferme les yeux, laissant doucement place aux ténèbres, deux corps inconnus se laissent fondre. Dans l'ombre de l'inconnu, plus rien ne trouve réellement son sens. Que de formes étranges, de bruits sourds, de couleurs sombres. Le noir est le seul endroit de paix, seul lieu où les âmes torturées peuvent espérer trouver une place, réelle ou illusoire. Noyé dans un flot d'absentes chimères, bercé par la brise d'hiver, sans chance d'observer au loin une neige nouvelle, les pages se tournent unes à unes, les mots défilent les uns après les autres, les sentiments dessinent un nouveau labyrinthe impossible à deviner, à franchir.

Même lorsque les portes du sommeil s'ouvrent face à ces yeux qui refusent de voir, le chemin le plus simple devient le plus effrayant. Comme dans un paysage de terreur, les notes du piano résonnent, délicatement jouées par un démon. Comme Orphée jouait de sa harpe, il attire toute âme faible du bout des doigts. Une simple mélodie, jouée encore et encore, sans jamais s'arrêter, un leitmotiv qui se répète à l'infini et qui laisse les rêves peu à peu se détruire. A chaque coup déposé sur une corde, une nouvelle peur nait, une nouvelle incertitude, un nouveau désir de comprendre comment avancer, comme sortir, comment trouver le chemin qui guidera jusqu'à la fin tant désirée. Pâle copie de l'harmonie d'Orphée, comment lutter contre un envoutement délicieusement appliqué ?

Dans un soupir dernier, les rêves s'éteignent peu à peu, laissant place aux spectres oniriques des songes les plus malicieux. Comme une guerre entre deux enfants désireux d'obtenir l'amour de leurs parents, les esprits s'affrontent, ouvrant peu à peu chaque porte de ce labyrinthe que tous voulaient conserver fermé, ignorant que chaque souvenir devient alors une blessure ouverte encore et encore.

Les aiguilles de l'horloge tournent, sans jamais s'arrêter, comme une chanson dans le cœur d'Orphée qui n'a de cesse de poser ses mains contre les douces cordes de son instrument. Les accords harmonieux joués à la basse affrontent sans relâche les accords dissonant de la voix principale, rien ne trouve plus de terrain d'entente. Tout devient flou, puisque plus rien n'a vraiment de sens, puisque tout trouve son idéologie dans l'accomplissement d'un malsain chaos. Serait-ce de là que naissent toutes ces peurs des heures sombres ?

Noyé dans des pensées qui continuent de courir derrière un temps errant, la lune continue de fuir, silencieusement, embrassant de ses rayons un paysage éteint. Le sommeil torturé s'évapore peu à peu, et le seul désir restant n'est autre que celui d'admirer un coucher de soleil déjà fané. Comme si l'on demandait à l'univers de créer une nouvelle saison, le paradis nous demande de fuir, de nous taire, d'accepter les choses pauvrement. Là où Orphée avait su trouver sa fin inachevée, nos mots continuent de s'imposer, décrivant chapitre après chapitre un univers dont personne ne veut plus. Ancien sentiment jamais rencontré, le bonheur devient la seule chose pour laquelle il est normal de se battre, comme une obsession que l'on poursuit encore et encore malgré les avertissements répétés, et le temps est désormais celui qui nous poursuit de plus en plus vite. Le harceleur devient le harcelé, le harcelé devient le harceleur. Parce que la Lune n'aurait de réelle raison d'exister si la Terre ne vivait pas elle-même. Que serait un satellite qui ne trouve d'astre central autour duquel graviter ? Il y a certaines choses qui ne trouvent de raison d'exister sans un centre autour duquel tourner, tout autant que certaines se pensent suffisantes à elles-mêmes. Mais, malgré tout ce qu'il est possible d'affirmer, il y aura toujours une chose à laquelle se ramener, il y aura toujours une chose qui nous est vitale, peu importe ce que tous affirmeront.

Alors, lorsque la nuit tombe, que le temps s'évertue à courir, et que l'on se retrouve seul face à nos démons, sans la moindre attache, il est tout simplement plus simple de fuir, d'emprunter la sortie la plus évidente, la plus rapide, afin de ne pas penser, car il n'y a rien de plus cruel que nos propres pensées. Oui, lorsque la nuit tombe, le seul véritable ennemi qui nous guette, le seul réellement capable de nous blesser, n'est autre que nous, juste nous. Les armes les plus destructrices du temps sont les pensées d'une personne, ces démons qui hantent chaque soir le cœur, le corps et l'esprit d'autrui. Alors, lorsque les étoiles brillent de leur belle couleur dans le sombre noir d'une nuit d'hiver, et lorsque s'arrêtent délicieusement sur le bord d'une falaise, le labyrinthe se referme petit à petit sur les corps faibles des esprits seuls. Comme lorsqu'Orphée pensait pouvoir retrouver sa bien-aimée et la ramener à la vie, les désillusions ont été plus cruelles, plus dures, plus blessantes : le cœur en sang, les yeux en larmes, le corps en sueur, la solitude signe simplement le début d'une longue décente en Enfer.

Mais lorsque l'on rencontre une personne capable de noyer cette sensation d'abandon, le temps n'offre aucune seconde chance. Il faut alors savoir réfléchir, savoir comprendre, savoir retenir les ceux qui nous berceront lorsque la nuit viendra, sans accorder la moindre importance aux doutes qui nous guettent. Les aiguilles tourneront encore, elles ne s'arrêteront jamais, mais leur vitesse diminuera peu à peu au fur et à mesure que les cœurs se lieront.

Le seul défi à relever ne serait-il donc pas de savoir comment s'affronter soi-même ? Accepter de se blesser n'est pas chose simple, mais n'est-ce pas un simple sacrifice afin d'apprécier une douce nuit d'amour éphémère ? Seul le temps détiendra la réelle réponse pour chacun.

Éphémère [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant