Chapitre 1 : Aylan

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Assis au bord du petit muret séparant l'internat de la fac, les écouteurs dans les oreilles, j'observe les allées et venues de tous les étudiants, m'amusant d'en voir certains courir par peur d'un quelconque retard, regrettant d'en voir d'autres le regard plongé dans leurs livres, probablement stressés par de nouvelles épreuves notées. Ils se ressemblent étrangement tous dans leur différence, c'est assez... Désolant. Mais surtout, sentant la douce brise de ce début d'automne venir frôler mon visage, je réalise encore une fois que rien n'a réellement changé, que nous ayons grandi ou non, nous restons toujours dans cette prison, échantillon fort représentatif d'une société où les adultes règnent en maîtres, à notre plus grand damne. Non pas qu'apprendre me répugne, bien au contraire, j'aime ça, je trouve ça passionnant de toujours découvrir cette infime parcelle de ce que sont les découvertes de notre passé et de notre présent, mais j'ai toujours pris en horreur la fascination qu'éprouvent les adultes à nous traiter comme des objets. J'aimerai changer ça, j'aimerai leur montrer à tous que chacun à son mot à dire, qu'il soit grand, petit, intelligent, idiot, gros, mince, noir, blanc, et j'en passe.
Un léger rictus s'échappe de moi, faisant se poser mon regard sur mes mains qui viennent prendre mon téléphone afin de changer de chanson, les mêmes idées aussi irréalisables que toujours dans la tête.
Relevant rapidement mes yeux pour continuer l'observation que je me plais à exercer sur les nombreux étudiants de ma fac, je croise le regard d'Emma, toujours aussi belle, et je souris, comme un idiot, impatient de pouvoir la serrer dans mes bras. Comme inconscient, je m'empresse de me lever pour l'attendre, les bras grands ouverts, attendant la très proche collision entre nos deux corps, alors qu'elle court vers moi. Un grand sourire sur les lèvres, nos deux bouches se rencontrent, scellant nos retrouvailles après ce mois d'absence.
Une courte distance se pose entre elle et moi, laissant nos regards s'observer, se redécouvrir, se jouer l'un de l'autre. Elle m'avait vraiment manqué...

« Alors princesse, raconte-moi ce voyage en Colombie. »

Sans ne plus tarder, nos doigts s'entrelacent, tandis que nos pas laissent doucement leur trace sur l'herbe humide sous nos pieds. Seule sa voix se laisse entendre, alors que je l'observe. Que ce soit ses yeux d'un profond noir corbeau, ses lèvres d'un rouge presque sanguinaire, son fin nez, ses douces mains, ses longs cheveux bruns... Maintenant que je retrouve toutes ces choses pourtant si discrètes, si banales, je réalise qu'elle était vraiment cette chose qui me manquait.
Entrant dans le bâtiment où nous attendent nos meilleurs amis respectifs, Georgie et Hysae, Emma se réjouit de les retrouver et pourtant, elle ne lâche pas ma main. Elle est si heureuse et pourtant, sa réaction est si fidèle à elle-même, si mignonne, qu'elle tient fermement mes doigts entre les siens. Elle ne désire pas me lâcher, presque comme si elle avait peur de me perdre, c'est adorable.

« EMMA ! », hurle Georgie, venant littéralement sauter sur ma petite amie.

Et, bien évidemment, sans attendre, Emma s'empresse de crier le nom de son amie en retour, laissant cette dernière la serrer dans ses bras, tentant du mieux qu'elle le puisse de garder nos mains scellées sans grand succès final. Elles manquent de peu de tomber, si heureuses de se retrouver depuis si longtemps et, je l'avoue, je trouve que, pour une rare fois, ce n'est pas si excessif. Habituellement, je ne supporte pas leur démonstrations d'affection, plus qu'exagérées à mon sens, mais aujourd'hui, je crois que je pourrais tout leur excuser.

« Tu m'avais manqué, sale gosse. », rie Hysae, s'avançant plus sereinement vers ma princesse pour la serrer dans ses bras.

Je les regarde, silencieux, toujours ce même sourire sur le visage. Ils se connaissent depuis si longtemps que, avant même que je ne la rencontre, ils étaient déjà comme frère et sœur, alors la jalousie ne me viendrait même pas à l'esprit.
Lorsque les retrouvailles sont faites, et que le trop plein de sentiments s'estompe peu à peu, Emma reprend ma main dans la sienne, avant de leur proposer d'aller manger. Il est déjà plus de vingt heures, si nous attendons trop, jamais nous ne trouverons d'endroit où nous poser pour manger tranquillement.
Et, bien évidemment, le temps que nous arrivions à la pizzeria, plus la moindre place n'est disponible, et c'est donc dans l'appartement d'Hysae que nous nous retrouverons à rire, manger et échanger tout ce qui nous est arrivé en ce mois de séparation, sûrement beaucoup trop long.
La soirée passe assez rapidement alors qu'Emma nous raconte comment était sa famille d'accueil, comment se comportaient les Colombiens avec elle, comment était son école, ses professeurs, et surtout, comment elle s'est liée d'amitié avec une certaine Carolina. A ses derniers mots, je sens Georgie se crisper un peu, très certainement vexée d'être ainsi « remplacée » par son amie depuis plus de sept ans. Et visiblement, je ne suis pas le seul à le remarquer puisque, quelques secondes à peine plus tard, Emma se retrouve sur cette dernière pour lui rappeler à quel point elle est irremplaçable. C'est donc comme ça que, durant plus de deux heures, nous nous amusons, riant à gorge déployée sans nous importer du lendemain. Et lorsqu'Hysae tombe de sommeil, c'est sans le moindre doute que je propose à Georgie de la raccompagner chez elle, gardant toujours près de moi celle que je viens de retrouver.

« Merci de m'avoir raccompagnée ! Je te rends ta veste Aylan, comme ça tu récupères une couche pour avoir moins froid, s'amuse Georgie.
- Idiote, riais-je également, enfilant ma veste sans réellement en ressentir le besoin.
- A demain ma belle ! Va falloir qu'on rattrape le temps perdu, sourie Emma, coupant court à notre conversation sans le moindre sens.
- Compte sur moi petite folle, c'est le retour de la Team Emgie !
- Team Emgie en force ! »

Un dernier rire échangé, un dernier câlin, et je repars avec Emma à mes bras. Pour ce soir, exceptionnellement, je la fais entrer dans mon dortoir, le plus discrètement possible, souhaitant simplement la serrer dans mes bras cette nuit après si longtemps.

« La lune brille tout particulièrement aujourd'hui, tu ne trouves pas ? »

Levant alors les yeux au ciel, Emma hausse rapidement les épaules.

« Peut-être, tu sais bien que je m'intéresse rarement à ce genre de choses. »

Son grand sourire, toujours aussi doux, m'empêche de lui en vouloir. Après tout, il est vrai qu'elle n'a jamais réellement aimé la nuit. Elle a toujours été tout mon inverse, alors ça ne m'étonne plus vraiment, j'imagine.
Toutefois, même si je sais que je me risque à voir tous mes espoirs refusés dès son retour, je souhaite tout de même tenter de rester dehors un peu plus longtemps avec elle, voilà pourquoi je me retrouve rapidement à lui demander si elle souhaite observer avec moi les étoiles quelques minutes de plus.

« Il fait un peu froid, tu ne trouves pas ? Et puis, je t'avoue que je suis vraiment fatiguée aujourd'hui... Une prochaine fois ! On aura largement le temps de toute façon ! »

Pour être tout à fait honnête, je m'en doutais. J'étais même sûr qu'elle refuserait. Même les soirs d'été, elle déteste rester dehors, alors il est légitime qu'elle ne veuille pas non plus rester dehors aujourd'hui, simplement pour admirer les étoiles avec moi alors que les arbres commencent déjà à perdre leur feuillage.
Un petit soupire s'échappe de mes lèvres, tout de même quelque peu attristé de laisser passer une si belle nuit, mais reprend bien rapidement la marche. Elle doit sûrement être très fatiguée après son long voyage, alors il faut que je la ménage quand même un peu. Et puis, avant de partir, elle m'avait promis qu'une nuit, nous dormirions sous les étoiles, alors je lui fais confiance. Ce n'est que partie remise, j'imagine.
Et lorsque, dans le lit, j'enfouis mon visage dans son cou, sentant ses doux cheveux longs caresser ma peau, je me conforme dans l'idée que j'ai bien fait de la suivre, les seuls mots que je parvienne à articuler en ce doux moment étant « tu m'as vraiment manqué... »
Un petit rire vient caresser mes tympans, avant qu'elle ne rebondisse sur mes paroles.

« Et toi donc... Les nuits étaient froides sans tes bras. »

Un petit rire partagé nous échappe, amusés de reprendre inconsciemment ces drôles de rôles que nous nous plaisions tant à emprunter avant son départ. Nous n'avons jamais été ce genre de couples à se dévoiler chaque sentiment, du plus ridicule au plus fou. Et c'est sûrement pour ça qu'imiter les autres couples nous fait tellement rire.
A vrai dire, en réalité, bien que je l'aime, je crois que jamais je n'ai réellement ressenti ce besoin de le lui montrer. Qui saurait dire pour quoi ? Après tout, elle-même n'a jamais ressenti ce besoin non plus. Je sais que j'apprécie sa présence, que je l'apprécie tout simplement, qu'elle a cette chose qui fait que je sais pouvoir lui faire confiance, tout comme elle le sait pour moi aussi, et cette simple chose me suffit amplement.

« Dors princesse.
- Je ne suis pas si fatiguée, tu sais ?
- Moi non plus, mais demain j'ai cours, et je ne suis pas sûr que Chaumier acceptera que je dorme dans son cours, souriais-je.
- Il est encore vivant lui ?, ria-t-elle.
- Malheureusement. »

Un petit rire partagé vient lier nos voix et, soupirant un dernier instant, je finis par m'endormir, sans réellement savoir comment, juste emporter par la fatigue. Vous savez, ce genre de nuit où l'impression de fatigue n'existe pas et où pourtant, en quelques instants, nos paupières se ferment, sans qu'on ne sache pourquoi, sans même qu'on ne le réalise. Ce genre de nuit où tout semble parfait mais où les ténèbres semblent pourtant nous guetter. Fourbes. Trompeuses. Douloureuses. Terribles.
Si, à ce moment précis, j'avais réalisé qu'à mon réveil, plus rien ne serait jamais comme avant, je me demande si j'aurai réellement osé m'endormir.

Éphémère [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant