Chapitre 33 : Charlie

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Almeria - 14 Août 2020 - 12h47

Il fallait que je calme. J'avais besoin de respirer mais l'air n'arrivait que partiellement à mes poumons. Les larmes incontrôlables me mettaient à mal. Qu'est-ce qu'il m'arrivait ? J'avais l'impression que mon crâne était pressé dans un étau d'émotion bouillonnant. J'étais si fatiguée. Épuisée de devoir me montrer forte en toutes circonstances. Je voulais accepter ce qu'il semblait vouloir me donner mais je n'y parvenais pas. J'étais si accroché à mon indépendance qu'accepter de l'aide était, pour moi, inconcevable. Je savais pourtant qu'il avait raison. Il me serait impossible de ramener Bethany en Amérique. Pour y trouver quoi, de plus ? C'était partout pareil, dans le monde. Ma tendre mère n'aurait jamais pu survivre aux genres d'attaque que nous avions vécus. Elle prônait le pacifisme.Elle ne savait pas se battre. Son petit appartement vétuste n'aurait pas pu la protéger, des pilleurs, des errants ou encore de la faim. Cela me brisait le cœur. J'avais l'impression de l'avoir abandonné à son propre sort.

Je me trouvais au milieu d'un immense jardin fleuri, par les soins assurer de la maîtresse des lieux. Cela était si contrastant avec ce qui se passait à l'extérieur. C'était presque apaisant si on oubliait les pertes humaines due à ce mystérieux virus qui se répandait de la pire des façons. Ma fille se trouvait au milieu de tout cela. Ceux que j'aimais comme s'ils étaient miens, se trouvaient au milieu de tout cela. Marisol qui s'était avéré être une grande alliée, était au milieu de tout cela. Quand à moi, j'estimais que cela ne comptait pas. S'ils survivaient alors je faisais bien mon travail. Voilà ce qui me portait depuis tout ce temps, rien de plus mais je n'étais qu'humaine après tout. J'avais mes failles, mes doutes. Cela pouvait être, par moments, trop lourd pour mes frêles épaules.

Il fallait que je me reprenne. Cela était, certes, difficile mais j'avais des personnes qui comptaient sur moi et pour moi. Je les voulais en vie.

Je me redressais, le dos droit, et me molestais de m'être montré aussi faible. Je fis le tour de la villa, pour suivre les cris joyeux d'enfants. Lorsque mes yeux se posèrent sur eux, un petit sourire prit possession de mes lèvres. Ils étaient si beaux, tous les trois. Aurais-je le cœur de les séparer alors que Beth avait trouvé en eux des frères à aimer ?

Je me cachais, adossé à la façade nord de la maison et les observais alors que la grand-mère des garçons s'approchait, un grand sourire sur les lèvres, et tendit son bras.

- Vous voulez des gâteaux mes petits ?

- Oui, s'écrièrent Rory et Tate alors que Bethany était resté en retrait.

Cela me fit mal mais la femme s'était approché d'elle avec douceur, lui avait caressé la joue pour finir par s'agenouiller face à elle.

- Oh ma petite, je sais que ta famille te manque... Je suis désolée que tu ne puisses pas être avec eux... mais tu n'as pas à te priver du peu de bonnes choses que le ciel t'envoie, mon enfant. Si tu me le permet, j'aimerais que nous passions du temps ensemble... toi et moi.

La douceur qu'elle avait mise dans sa voix eut raison de ma fille qui se jeta au cou de la femme en pleurant. J'en compris la raison. La mère de Joaquin était aussi tendre et brave que l'était ma mère. Bethany voyait en elle, sa grand-mère. Les larmes de ma fille, qui jusqu'ici avait été dans la retenue de ses émotions, me transpercèrent la poitrine. Je l'ai regardé s'éloigner, toutes deux, en direction de la maison alors que les garçons continuaient leur jeu sous la surveillance accrue des hommes de la maison. Je me découvris aux regards de tous, estimant avoir vu ce que j'avais besoin de voir pour calmer la tempête qui faisait rage en moi.

Dès qu'il me vit, Joaquin accourra vers moi.

- Tu vas bien ? s'inquiéta-t-il.

- Nous allons rester, annonçais-je.

Ses yeux s'écarquillèrent.

- Vraiment ?

- Oui. Je me rangerais toujours à l'avis de ma fille, Joaquin. Ta mère a su la conquérir. Je doute qu'elle veuille partir à présent.

Il tenta de masquer le sourire naissant sur ses lèvres. Cela fut un échec. Je le fusillais du regard puis m'écarter de lui. Sa proximité était perturbante. Il était un homme très tactile et je n'étais pas sûr d'apprécier cela. Je n'avais pas pour habitude de laisser les gens m'approcher d'aussi près, que cela soit physiquement, qu'intimement. J'étais quelqu'un de distante, peu sociable et très renfermée. Faire face à un homme aussi ouvert perturbait mon être. À croire qu'il n'avait jamais eu à faire face à ce que ce monde avait de désagréable. Je jugeais peut-être trop vite mais lorsqu'on voyait l'endroit où il avait grandi, des personnes qui l'entouraient depuis son plus jeune âge, je doutais qu'il est pus vivre, ne serait-ce, que le malheur, la déception, la frustration ou bien le danger. Repensant à ma propre enfance, je ne pouvais m'empêcher de comparer nos styles de vie. J'aurais tant aimé, lors de mon enfance, connaître les joies d'une si belle maison rempli de rires et d'amour. Ma mère était, à mes yeux, la meilleure des mères au monde et je m'employais chaque jour à lui arriver à la cheville avec Beth mais nous vivions dans un petit appartement disposant d'une seule chambre, dans un quartier où il était préférable d'éviter dès que la nuit tomber. Ma pauvre mère s'était fait agresser à de nombreuses reprises en rentrant tard du travail. Je l'avais entendu parler avec Jim, à l'époque. Elle se faisait harceler par les voyous du quartier à longueur de temps et avait toujours peur de rentrer à la maison la nuit. Elle se faisait du souci pour moi lorsque je devais rester seule, à la maison, quand elle travaillait tard. Nous vivions dans la peur. Malgré cela, notre petit logement social était empli d'un amour inconditionnel. Je ne pouvais, quand même, pas réprimer ma jalousie. Comment aurait été ma vie si ma mère avait eu la chance de finir ses études pour que l'on est une meilleure vie ?

Je me rappelle le jour où je lui en avais fait le reproche lorsqu'elle s'était mise en colère à cause de mes fréquentations peu recommandables. Je m'en étais voulu, immédiatement après avoir fermé la bouche. Le souffle coupée, elle m'avait fixé, les larmes aux yeux, avant de se détourner de moi en murmurant un «pardon» et était allé s'enfermer dans la salle de bain, comme à chaque fois qu'elle avait besoin de pleurer. J'étais parti de la maison, suite à cela, pour n'y revenir qu'une semaine plus tard, trop honteuse de mon comportement. Je m'étais détesté si fort que j'avais commencé à m'autodétruire. Je n'avais que quatorze ans et je vivais, pour aussi dire, pratiquement chez Sacha, un mec de la pire espèce. Il avait proposé de m'héberger le temps qu'il me fallait en échange de faveur sexuelle. Je me dégoûtais tellement à ce moment-là et je voulais me punir d'être une mauvaise fille pour ma courageuse mère que j'avais acceptée immédiatement. Cela allait être ma punition, me donner à ce type qui me traiterait comme si je n'étais qu'un objet. Aujourd'hui, je savais que j'avais eu tort. Je cherchais à me détruire et j'y étais parvenus mais en me faisant du mal, j'en avais aussi fait à elle. Je pus comprendre cela lorsque j'avais mis au monde Bethany. Je n'étais, jadis, qu'une pauvre idiote nombriliste. Je le regrettais amèrement aujourd'hui.

Fixant la façade de la maison, je me rendis compte que même si je n'avais pas eu une vie idéale, que cela n'avait pas été sans embûche, je n'avais rien à envier à ces gens parce que tout ce qui comptait au final, était que j'avais une mère qui avait tout sacrifié pour moi et qu'elle avait donné tout ce qu'elle avait pour m'offrir tout ce qu'elle pouvait. J'étais chanceuse au final.

Elle me manquait tant.

J'avais, certes, vingt-trois ans mais, à cet instant, tout ce que je voulais, était les bras de ma mère se refermant sur moi.

Si j'aurais pu être près de toi, maman...

The new beginning of our livesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant