Prologue 1-

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Le son de mes pas résonne dans le couloir vide, presque couvert par celui de l'homme qui m'escorte, le pistolet plaqué sur ma tête. La tête haute, le regard fixe, j'avance dans ce couloir désert, sombre et morbide.

Mon souffle est calme, et je ne bouge pas alors que l'homme appuie sur une plaque métallique du bout du doigt. Elle s'enfonce, tourne rapidement sur elle-même, avant qu'une voix, féminine et numérique, ne salue :

- Garde VAN ARSDALE, bienvenue au centre de conformité. Salle douze.

Les deux portes qui nous font face s'ouvrent dans un silence absolu, et l'homme me pousse en avant, dans une salle d'une blancheur éblouissante. Le contraste trop prononcé entre les deux ambiances me fait plisser les yeux alors que j'observe les détenus, assis ou debouts le long des murs de l'immense salle rectangulaire, les yeux écarquillés, marmonnant des choses inaudibles pour la plupart, tremblants pour d'autres. Tous sont reliés à un fil bleu implanté dans la nuque, et leurs pieds sont reliés au mur par d'épaisses chaines. De temps en temps, certains se mettent à hurler à s'en percer les poumons, ils crient que « non, c'est faux, vous mentez, bande de fils de... » et avant qu'ils aient eu le temps de terminer leur phrase, ils sont violemment secoués, et s'évanouissent.

Nous passons au milieu de ces gens, le regard fixe, pour nous approcher d'un petit couloir, plus sombre que la salle principale. De chaque côté de ce couloir, des portes numérotées. L'homme s'arrête devant la salle numéro douze, et place sa main sur un autre capteur. Un petit bruit métallique confirme qu'il est autorisé à entrer, et la porte s'ouvre. Il me pousse à l'intérieur, et mes yeux se posent instantanément sur l'homme aux lunettes rondes assis sur son fauteuil.

Il m'observe, un rictus plaqué sur le visage. Ses cheveux grisonnants presque inexistants à présent sont éparpillés sur son crâne, et ses mains osseuses sont jointes sur son bureau. Un grand bureau en bois de chêne, brun, comme tout le reste de la pièce. De part et d'autre, des plantes vertes et des cadres sont disposés, comme s'ils espéraient donner un aspect plus personnel et chaleureux.

- Bonjour, Louise, me salue-t-il en reprenant son sérieux. Inutile de me rappeler que tu veux que je t'appelle Lou, je le sais.

Muette, je me contente de le fixer dans le blanc de l'œil, droite comme un piquet.

- Elle est dans un de ses jours de silence, explique mon garde.

La mine de l'homme en face de moi se change aussitôt en un sourire alors qu'il hoche la tête.

- Je vois. Je t'en prie, assieds-toi.

Je m'avance, et m'assieds sur la chaise qui se trouve en face de lui. L'homme grisonnant lève les yeux vers mon garde.

- Vous pouvez disposer à présent Garde VAN ARSDALE, je m'occupe d'elle.

Je ne le vois pas mais je devine que le concerné opine.

- Si vous avez le moindre problème, vous savez quoi faire. Je suis juste à côté.

Le vieil homme lui adresse un sourire qu'il voudrait certainement rassurant.

- Nous vous en faîtes pas, je la gère.

VAN ARSDALE accepte de sortir, et à peine la porte refermée, l'autre se tourne vers moi.

- Louise.

- CADOXO, je réponds simplement, le regard neutre.

- Qu'est-ce qu'il vous a fait aujourd'hui, pour que vous soyez aussi silencieuse ?

- Ne pensez pas que VAN ARSDALE régit mes humeurs, vous vous tromperiez.

Le sourire de CADOXO, mon « psychologue » personnel, s'élargit.

- Bien évidemment, ce jeune homme n'a pas d'influence sur vous, je le sais...

Je ne réagis pas à son sous-entendu, et il soupire.

- J'ai toujours le message de votre père.

- Ce n'est pas mon père, je réplique sèchement, poings serrés.

- Louise... nous en avons déjà parlé, faut-il que je me répète ? Un vrai père n'est pas nécessairement celui qui vous a conçue, mais celui qui vous a élevée...

- Effectivement CADOXO, nous en avons déjà parlé. Inutile donc que je vous répète qu'un vrai père n'est pas capable de tuer son enfant, ce qui, bien évidemment, n'est pas le cas de Luc.

Le psychologue se pince la lèvre.

- Je suppose donc que tu ne veux toujours pas lire ce message.

Je ne réponds pas. Lorsque j'ai été enfermée ici, après avoir été accusée sans le moindre jugement d'avoir assassiné Tom', et de m'être retournée contre le gouvernement, Luc a été le premier informé. Il a aussitôt voulu venir me voir. J'ai toujours refusé. Je n'avais, et je n'ai pas besoin de l'entendre dire que je l'ai déçu, qu'il me pensait plus forte que ça, mais que si je fais un effort, je pourrais sortir d'ici et tout redeviendrait comme avant.

Il ne comprend pas que je ne veux pas, que tout redevienne comme avant.

En revanche, j'ai accepté de voir ma mère, qui s'est mise à pleurer en me voyant derrière la vitre, le regard vide, le corps recouvert de blessures de toutes sortes. Elle ne pouvait pas exprimer ses pensées, tout notre échange était surveillé. Alors elle n'a fait que s'excuser, et me dire que quoi que je pense, je restais sa fille et qu'elle était fière de moi.

Ces paroles-là m'ont fait du bien.

Depuis, je suis cloitrée ici, jour et nuit. J'ai bien vite compris qu'une prison regroupant tous les Enfants ayant enfreint le règlement n'était pas banale. Tous n'ont qu'une envie, se venger, tuer, tuer le plus possible. Chaque nouvel arrivant est vu d'un mauvais œil par les plus anciens car il a travaillé avec les ennemis. Les plus faibles sont écrasés, servent de « Réconfort » aux autres, comme ils disent. Lorsqu'un détenu se sent mal, il attrape un Réconfort, et fait de lui ce qui lui plaît. Et les Gardes de la prison, eux-mêmes des Enfants, sans la moindre pitié ni compassion, ont accepté et perpétué la tradition des Réconforts. Ainsi, celui qui a le malheur d'être trop faible et d'être catégorisé Réconfort, sert aussi bien aux détenus, qu'aux Gardes. Les deux n'ont pas la même utilisation mais les deux sont infectes.

Et en m'apercevant qu'à mon arrivée, certains m'avaient déjà casée Réconfort à cause de mon âge et de mon sexe, j'ai vite remis les points sur les « i » et ait été rayée de toute liste. Ou presque.

- Bien, je crois que j'ai compris. Pas de message. Alors si tu permets, nous allons commencer la séance. 

ViragoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant