39-

10 1 0
                                    

Dès que je passe la porte, Owen se tourne vers moi, et semble immédiatement sentir que quelque chose ne va pas, puisqu'il s'approche de moi sans dire un mot, et me prend dans ses bras.

A bout, je ferme les yeux en l'enlaçant moi aussi, et il m'embrasse doucement avant de demander :

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Je baisse les yeux en reculant d'un pas, et Nathanaël pose ses yeux noirs sur nous. Alors, je soupire et vais m'assoir sur le canapé, à côté de Livio.

- J'ai discuté avec Naïm, déclaré-je alors.

- On ne s'en serait pas douté... ne peut s'empêcher de marmonner mon cousin, réprimandé d'un regard par Owen.

- Je lui ai dit pour Ejlan.

Je jette un bref coup d'œil à Alary, qui semble employer toute sa force pour rester neutre. Il est assit à l'autre bout du sofa, et regarde obstinément le sol, les yeux brillants.

- Qu'est-ce qu'il a dit ? demande Owen.

Je relève la tête vers lui, et ancre mes yeux dans les siens.

- Il n'était pas surprit, je réponds d'une voix sèche en serrant les poings. En fait, il n'était surprit de rien du tout. Il savait que les Enfants nous avaient repérés, il connaissait leur nombre, et il savait qu'ils attaqueraient le convoi s'il ne faisait rien.

Livio semble comprendre où je veux en venir, puisqu'il ferme les yeux en soufflant :

- Oh non...

Je pince les lèvres.

- Si.

Mes yeux se bloquent au niveau du sol, et comme les autres n'ont pas compris, Livio poursuit :

- Tu étais la cible idéale pour les faire changer de trajectoire, n'est-ce pas ?

Je hoche positivement la tête.

- Attends, il a accéléré le plan pour éviter aux escadrons de se faire attaquer ? s'insurge Nathanaël.

Je répète mon mouvement précédent, continue :

- La solution la plus simple aurait été de m'envoyer seule, ils m'auraient suivie dans tous les cas. Mais Naïm a décrété qu'on avait besoin de moi pour réussir la mission et que je ne devais pas me faire tuer là-bas.

Les poings serrés, je ferme brièvement les yeux, et Livio réfléchit à voix haute :

- C'est pour ça qu'il n'a pas voulu nous dire ce qu'il se passait... il savait que si tu apprenais que nous étions en danger tu partirai toute seule. Donc, comme pour la première mission, il nous a fait embarquer avec toi pour éviter que tu fasses une folie.

Je confirme d'un signe de tête.

- Il savait que les chances pour qu'on en sorte tous vivants étaient minimes alors il a voulu augmenter celles pour que moi, j'en sorte en vie, m'agacé-je.

- Calme-toi, souffle Owen en s'asseyant à côté de moi.

- Me calmer ? explosé-je. Comment veux-tu que je me calme, Owen ? Naïm vous a envoyé vous, au-devant des Enfants, en espérant que ce soit vous, qui mourriez à ma place ! Il a sacrifié Ejlan sans se poser de questions, putain !

Je me lève brusquement, le souffle rapide, mais Owen attrape mon poignet pour que je me rassois. J'hésite quelques secondes, dents serrées, avant de me laisser faire, et il enroule ses doigts autour des miens. Il me fixe quelques secondes sans piper mot, avant de déclarer :

- J'étais au courant aussi.

Je me tourne vers lui, les yeux écarquillés de surprise.

- Quoi ?

Son regard passe sur Livio, Alary, puis sur Nathanaël avant de revenir sur moi, et il développe calmement :

- Avant que nous ne partions pour la prison, Naïm m'a fait part de ses inquiétudes. Il m'a dit qu'il y avait peu de chances pour que les Enfants nous laissent nous en sortir, et il m'a confié que dans ce cas-là il t'enverrait à Paris pour les détourner du convoi. Il m'a fait promettre de ne pas te laisser y aller seule, peu importe ce que ça importait.

Refusant d'y croire, je secoue négativement la tête en fixant ses yeux noisette.

- Tu n'as pas pu accepter ça, murmuré-je, et il serre ma main un peu plus fort.

- Qu'est-ce qui m'en aurait empêché, Lou' ? réplique-t-il, on ne peut plus sérieux.

Incapable de répondre à sa question, je ne peux empêcher une larme de s'échapper de mon œil, et le châtain me prend dans ses bras. Je laisse ma tête aller sur son épaule et ferme les yeux, épuisée. Pourquoi ? pourquoi est-ce que moi je devrais survivre, et observer tous les autres mourir pour moi ?

- Je sais ce que tu penses, lâche soudainement Livio.

Je ne bouge pas, et il continue :

- Tu en veux à Naïm parce que tu penses qu'il nous a sacrifié sans même nous demander notre avis.

Je ne réponds pas. Il sait déjà qu'il a raison.

- Mais s'il m'avait demandé personnellement de me sacrifier pour que tu puisses mener à bien cette mission Lou', j'aurais accepté sans hésiter. Owen l'a fait...

- Je l'aurais fait aussi, le coupe Nathanaël avec un ton sérieux.

- Nous l'aurions tous fait, intervient Alary d'une petite voix.

Cette fois, je me redresse, forçant Owen à me lâcher, et me tourne vers le métis. Il m'observe, les yeux rouges.

- Ejlan aurait accepté de mourir, il savait que tu défends la bonne cause. Il croyait en toi, Lou'. Il croyait en ce que tu représentes plus qu'en toute autre chose.

Une perle salée glisse de son œil, et ne trouvant rien à lui répondre, je me contente de l'observer, les yeux brillants. Les pensées qui m'avaient traversées dans la voiture me reviennent brusquement à l'esprit, et je me risque à demander :

- Alary, est-ce que tu as vu qui a tiré sur Ejlan ?

Ses yeux s'écarquillent brusquement, et je peux distinguer une sorte d'anxiété prendre possession de ses traits. Sentant mon pouls accélérer, je répète le plus calmement possible :

- Alary, est-ce que tu l'as vu ?

Le métis baisse les yeux, et hoche lentement la tête, comme réticent. Les éléments s'enchaînent à une vitesse fulgurante dans mon esprit. Le corps d'Ejlan seul, aucune trace de sang, il n'aurait pas osé tiré...

- Qui était-ce ?

Alary relève ses yeux noirs vers moi, et j'y décèle un réel stress. Mon rythme cardiaque augmente ostensiblement l'allure, et il murmure d'une voix à peine audible :

- Thomas.

Le monde semble vaciller autour de moi. Je me lève, et recule d'un pas, les yeux rivés sur le sol, le souffle irrégulier, et Owen se lève aussitôt pour attraper mes épaules. Il me dit quelque chose que je n'entends pas, trop assommée par la nouvelle.

Thomas a assassiné Ejlan. Thomas.

Ce prénom tourne en boucle dans ma tête. Thomas HAYES. Thomas qui se réveillait en criant à cause de ses cauchemars lié au meurtre du pilote de l'hélicoptère qui avait tiré sur Kyle. C'est impossible, impossible. Quelque chose ne va pas, il n'a pas pu changer si vite. Qu'est-ce que CIRILLO, comment a-t-il pu le convaincre d'une telle chose ?

Tout est flou, et pourtant très clair. Thomas a tué Ejlan. Tout va trop loin. Il va trop loin.

Presque haletante, je relève les yeux vers la fenêtre. J'en ai assez de jouer dans les règles. Dans ses règles.

Il est temps que CIRILLO perde le contrôle de la partie.

Et pour ça, je vais dégager son pion maître.

Je vais éliminer Thomas. 

ViragoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant