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Des sons étouffés me parviennent aux oreilles, et je papillonne des paupières pour m'habituer à la luminosité bien trop élevée de la pièce dans laquelle je me trouve. Progressivement, les sensations reviennent à moi. Ma jambe me fait souffrir, tout comme mon bras droit. Je sens les perfusions plantées dans mes poignets, j'entends légèrement plus distinctement les discussions animées mais à voix basse des infirmiers.

Je cligne encore des yeux quelques secondes, et lorsque je suis suffisamment revenue à moi, je me redresse légèrement sur mon lit. La personne à côté de moi sursaute et je notifie alors sa présence. Je hausse les sourcils de surprise alors que Naïm se tourne vers moi, un air préoccupé sur le visage, d'épaisses cernes soulignant ses yeux vairons. J'ouvre la bouche pour parler, mais alors les évènements me reviennent brusquement. La mission. Lili. Luc. Elizabeth. Je la referme alors que le poids sur mes épaules semble refaire son apparition. Contre toute attente, Naïm me sourit ; un sourire chaleureux, soulagé.

Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais pas à ça. Je ne sais pas si j'aurais préféré qu'il me regarde, déçu, et qu'il me dise à quel point j'ai ruiné ma mère, comme j'ai échoué à une mission qui paraissait si simple. Je ne sais pas si j'aurais voulu qu'il soit en colère, qu'il me réprimande d'avoir laissé Luc prendre le contrôle de la situation.

Je ne sais pas si je préfère qu'il me sourit.

- Comment te sens-tu ? me demande-t-il d'une voix qui me paraît d'abord lointaine.

Je regarde autour de moi. Je suis dans l'infirmerie, dissimulée des yeux indiscrets par d'épais rideaux blancs. Mon père est assis sur la seule et unique chaise présente, sa main est posée sur mon poignet. A cette question, je suis prise d'une brusque envie de pleurer de nouveau. Comment je me sens ?

Affreusement mal. Coupable.

Seulement, je me force à rester la plus neutre possible, et réponds faiblement :

- Bien.

Je sais qu'il ne m'a pas crue. Je le vois dans ses yeux, et pourtant lui sait que je n'en dirai pas plus, alors il n'insiste pas. Je lève doucement mon poignet pour observer la perfusion reliée à celui-ci, et interroge :

- Depuis combien de temps est-ce que je suis ici ?

- Deux jours.

Je me tends légèrement à cette affirmation. Naïm l'ignore royalement et reprend :

- Tu étais physiquement et mentalement à bout, Lou. Ton corps a pris son temps pour se régénérer.

Je serre légèrement la mâchoire. Mon corps, oui. 

N'ayant rien à répondre, je reste silencieuse, les yeux obstinément rivés sur les rideaux en face de moi. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas si je dois lui demander à voir ma mère. Il le faudrait, mais je ne sais pas si j'aurais la force de la regarder dans les yeux et lui dire que Lili est décédée. Je le lui ai fait comprendre, je ne sais pas si j'aurais la force de lui affirmer.

- Que s'est-il passé ? demande soudainement mon père avec une douceur qui me surprend.

Je pose mes yeux sur lui. Les siens ne reflètent qu'une bienveillance rassurante, un calme absolu. Je déglutis.

- Je...

Les mots restent coincés dans ma gorge. Presque automatiquement, mes pensées vont à Owen. Au récit que Nathanaël m'a conté de son comportement lors de ma capture. Il avait été battu par Livio et c'était la première fois qu'il échouait. La première fois que tout lui filait entre les doigts. Je ne savais pas si je devais trouver son comportement par la suite légèrement excessif. Mais aujourd'hui, je sais qu'il n'y avait rien d'excessif. Je viens de faire face à ma première défaite. Ma première défaite involontaire. Et je n'ai pas la moindre idée de comment réagir.

ViragoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant