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La première chose que je suis capable de sentir est une intense douleur se propageant dans l'intégralité de mon corps, comme s'il était en feu. La seconde est une terrible acouphène qui m'empêche d'entendre tout autre son. J'ouvre péniblement les yeux, étouffant un gémissement de douleur, et tout est d'abord flou autour de moi, avant que ma vision ne s'accommode à l'environnement. Tout ce que je peux distinguer ne sont que flammes, débris, poussière, un chaos total. Une pensée me percute alors.

Lili.

Reprenant doucement conscience, je remarque que je suis partiellement dissimulée derrière un pan de mur effondré, et mon corps est recouvert sous la poussière et les morceaux de pierre. Mon souffle devient irrégulier alors que je m'extirpe du mieux que je peux, les membres me tiraillant, ma tête tournant affreusement. Encore trop faible, je me laisse reposer au sol quelques minutes, et l'acouphène qui me scie le crâne s'atténue suffisamment pour que j'entende des bruits semblables à des pierres que l'on retourne.

Je rouvre péniblement les yeux, me positionnant sur le ventre, et malgré les flammes et la fumée, je l'aperçois. Là, debout au milieu du chaos, les yeux rivés sur le sol, sa main crispée sur son pistolet.

Luc.

Je comprends alors brusquement. J'ai échoué. Lili, trop près de la fenêtre, sans aucune protection, est décédée, il ne fait que chercher le cadavre de sa propre fille. Cet enfoiré n'a même pas eu le courage de lui ôter la vie en la regardant dans les yeux.

A ce constat, une vague de haine me traverse, et ma main se pose sur mon pistolet, dans ma ceinture, légèrement abîmé mais toujours fonctionnel. Le souffle court, je le sors de son étui, retire la sécurité, et pose mon bras ensanglanté, brûlé, sur le parpaing derrière lequel je suis dissimulée malgré moi. Je me concentre du mieux que je peux, et vise avec attention.

Alors qu'il s'arrête au milieu de la maison, j'appuie sur la gâchette. Le coup part, et la balle percute la main de Luc avec une précision qui m'étonne au vu de mon état de santé, et il lâche son pistolet avec un cri de douleur non dissimulé. Je ne me fais pas prier et tire une deuxième fois, dans son épaule gauche, l'amputant suffisamment pour qu'il soit dans l'incapacité de reprendre son arme. Il crie de nouveau en reculant d'un pas sous la force du coup, et je puise dans toutes les forces que j'ai pour me redresser difficilement, les jambes tremblantes.

Une fois debout, les membres fébriles, le souffle haché, je lève un regard que je sais haineux sur mon beau-père. Ses yeux s'écarquillent, et j'y perçois la douleur qu'il ressent présentement. Seulement, j'ignore si elle est due aux balles qu'il vient de prendre, ou à l'acte qu'il vient d'effectuer. Je serre mon arme dans ma main sans pour autant le viser, et bien que l'entièreté de mon être me fasse souffrir, je lâche :

- Dis quelque chose.

Ma voix m'apparait déformée, rauque, ténue, et j'ignore si la partie la plus endommagée est ma gorge ou mes oreilles. Luc reste cependant planté là, au milieu de son œuvre, les bras dégoulinants de sang, son visage habituellement inexpressif ne laissant paraître qu'une horreur prononcée. Cela ne fait qu'accroitre la haine que je lui porte, et je siffle :

- Parle, Luc. Fais ce que tu as toujours fait, regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que c'était pour le bien. Dis-le moi.

Ma voix vibre d'émotion à ces paroles sans que je ne puisse le contrôler, et je sens mes yeux s'humidifier lentement. Mon visage est couvert de terre et de sang, et je sais que je laisse passer toutes les émotions qui me traversent sans aucun filtre. J'ai abaissé mon masque.

- Dis-moi, je continue en titubant légèrement dans sa direction, dis-moi que tu as posé un ultimatum à ta femme en menaçant de tuer ta propre fille, dis-moi que tu as tué ta propre fille pour le bien, Luc. Ose me dire, ose me regarder dans les yeux et me dire que tu détruis tout ce à quoi tu tiens pour le bien du monde, ose me dire que Lili était une menace pour ce putain de pays !

ViragoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant